Rolf Stocker est commandant dans la Réserve Citoyenne, au sein du Groupe Education–Jeunesse.
Samedi 5 août 2016 – Café Le Français (clin d’œil pour qui reçoit un légionnaire !) à Issy-les-Moulineaux. Entretien avec Rolf Stocker.
Du Bade-Wurtemberg au tour du monde.
« Je suis né en Allemagne à Schwäbisch Hall dans le Bade-Wurtemberg, d’un père américain – un militaire de la 82e aéroportée qui avait sauté sur Sainte-Mère l’Eglise – et d’une mère allemande. Il y avait dans cette situation quelque répétition de l’Histoire : mes arrières-grands parents paternels étaient eux-aussi des Allemands et ils avaient émigrés aux Etats-Unis au début du 20e siècle. De ce mariage naquirent quatre enfants : deux garçons et deux filles. Rapidement réfractaire à l’autorité des maîtres d’école – dès que j’avais compris une leçon il fallait que je passe à autre chose sous peine de me retrouver dehors à aider les ouvriers dans leur chantier ou à m’intéresser à mon environnement – je fus placé dans un collège de jésuites à Salem. Pour couronner le tout, le psychiatre de mon école élémentaire m’avait catalogué comme autiste. En fait, mon problème venait de ce que je mémorisais un texte, une leçon, un problème sitôt après l’avoir lu. J’étais atteint du syndrome d’Asperger.
Je passai sept années scolaires chez les jésuites, de l’âge de 8 ans à 14 ans. Et j’en garde quelques souvenirs douloureux : réveil tous les jours à 4h30, pas de douche chaude, petit déjeuner en silence et cours de 6h30 à 13h avec des interruptions de 5 minutes toutes les heures. En 1963, j’avais alors 14 ans, la direction de l’école me fit passer mon baccalauréat et me proposa de devenir séminariste. Ma carrière ecclésiastique fut très courte : elle ne dura… qu’une semaine ! Mon père ayant dans ses relations un directeur d’hôtel, je fus envoyé à l’école hôtelière de Lausanne afin d’y apprendre la boulangerie, la cuisine et la direction d’hôtel. Par la suite, je fis un apprentissage dans la « maison » Bocuse de Lyon. Mais là encore, ma carrière fut relativement courte : pressé de voir le monde, j’acceptai un contrat de la compagnie Hapag-Llyod pour être cuisinier sur un vraquier où je devais faire manger 42 personnes tous les jours. Mes années au sein de cette compagnie me permirent de faire sept fois le tour du monde ! Je fus ensuite nommé sur un paquebot du beau nom de La Bohême.
Arriva « l’accident de Marseille » : notre bateau était en train de manœuvrer dans le port quand il fut heurté par un autre. Les dégâts étaient considérables. Nous étions condamnés à rester à quai pendant près d’une année ou à trouver, en Allemagne, une autre place au sein d’Hapag-Llyod. Ce que j’acceptai… mais en prenant tout mon temps. C’est-à-dire en visitant la France. Et quoi de mieux pour visiter un pays que de faire de l’auto-stop ! »
A la Légion.
« C’est ainsi que je fis mon premier voyage à travers la Provence pour arriver sur Lyon où je restai quelques jours. Nouveau départ. Une Renault Dauphine s’arrêta : un homme me fit signe de monter. Il parlait Allemand et m’indiqua qu’il se dirigeait en Alsace. Parfait. Nous voilà arrivés sur Colmar. La voiture connut quelques ratés. Nous prîmes la direction de la gendarmerie – elles étaient alors équipées de garages – et mon conducteur me demanda d’attendre quelques instants. Les réparations s’avérant plus compliquées que prévues, nous passâmes la nuit dans un motel proche. L’homme vit que je m’intéressais à la revue Képi Blanc, posée dans la salle d’attente de la gendarmerie. « Ce genre de lecture t’intéresse ? » me dit-il. « Oui. C’est tentant » répondis-je.
Le lendemain, douché, rasé de près et voiture réparée, l’homme me conduisit à la Compagnie de Recrutement de la Légion étrangère de Strasbourg : « Je suis sous-officier dans la Légion, me dit-il. Tu as le gabarit et la volonté pour être légionnaire. Viens donc signer chez nous ! ». Ainsi fus-je engagé dans l’armée française !
Une semaine après mon départ de Marseille, j’étais de retour, par le train, afin de subir des tests physiques et psychologiques. Examens en poche, affecté aux transmissions, j’embarquai en direction d’Ajaccio pour faire mon apprentissage de caporal au sein de la Compagnie d’Instruction des Cadres Spécialisés. Et pour apprendre le français, je pris Les Fleurs du Mal de Baudelaire – premier livre qui m’était tombé sous la main à la bibliothèque. Il me fallut plusieurs mois avant de comprendre les subtilités et la beauté du texte ».
En Afrique.
« En 1973, affecté à la 13e demi-brigade de la légion étrangère, stationnée à Djibouti, je connus coup sur coup un tremblement de terre important – 7 sur l’échelle de Richter avec des bâtiments détruits au sein de notre quartier – la naissance d’un volcan et une tornade qui poussa 14 bateaux du port au quartier militaire. Pierre Messmer, alors Premier ministre, vint nous rendre visite. Ancien de la 13 lui-même, il nous avait dit en arrivant : « Ici, pas de ministre qui compte. Juste, mon capitaine. Et maintenant, au mess ! ».
Cinq années plus tard, alors que j’étais affecté au 2e REP, en Corse, l’Afrique me revint en pleine figure. Alerte rouge déclenchée. Regroupement immédiat des légionnaires, pour aller prendre l’avion à Solenzara. « Je vous salue, nous dit le chef de corps. Je vous salue car je ne suis pas sûr de tous vous revoir ». Destination inconnue. Dans l’avion, l’officier nous dit : « Que ceux qui ont envie de fumer le fasse maintenant. Je sais que c’est interdit mais allez-y. Notre direction ? Kolwezi… ». J’avais été affecté au sein de la compagnie Puga, du nom de ce jeune lieutenant qui allait devenir par la suite chef d’état-major particulier du président de la République. Partout il régnait une odeur de mort. En quelques centaines de mètres, nous découvrîmes près de 350 cadavres. Des hommes avaient la tête coupée, des femmes le ventre ouvert à coups de machettes… Dans une prison, nous sortîmes 48 morts d’une cellule, pour découvrir sous cet amas de cadavres une femme, Belge, en état de choc. La mission dura 21 jours. Nous fûmes remplacés par des Marocains d’une force d’intervention africaine. Pendant des mois et des mois, cette odeur de mort m’accompagna, comme imprégnée dans mes vêtements, dans mes affaires, dans tout ce que je touchais.
Par la suite, victime d’un accident de saut, je fus muté dans des postes plus « tranquilles » en Corse puis à Mayotte. Pas de chance : là-bas, victime du paludisme, je fis un arrêt cardiaque. Quelques jours plus tard, je fus rapatrié à l’hôpital du Val de Grâce pour un séjour de plusieurs semaines. Retour à Aubagne. Et je tombe sur le capitaine Literchfeld. Celui-là même qui m’avait pris en auto-stop quelques années plus tôt ! Il me conseilla de faire le peloton des sous-officiers.
En 1982, je fis partie du détachement français de l’opération de maintien de la paix au Liban, en tant que chiffreur transmission, au sein du PC du général Coulon. Puis l’année suivante, le commandement me proposa une place de chef de production au sein du journal de la Légion Képi blanc, à Aubagne. En 1986-1987, alors que la France connaissait une vague d’attentats telle qu’elle n’en avait vécu depuis la fin de la guerre d’Algérie, le chef de corps me nomma à la tête d’une escouade chargée d’aider les gendarmes à nettoyer la région de Brignolles des terroristes et autres activistes. A la fin de la mission, nous avions récupéré plusieurs centaines de détonateurs, des tonnes d’explosifs et centaines de mètres de mèche lente. Après un dernier passage au sein d’une unité d’active, le 3e REI en Guyane, je quittai le service actif en 1991 ».
Au service de la sécurité et du général Vaillant.
« Ma retraite dura peu. J’intégrai une compagnie de sécurité qui assurait des transports d’or entre la Guyane et la France. Pendant près de cinq ans, j’ai vu près de 400 kg d’or voyager ! En 1998, pour la Coupe du monde de football, je m’occupais de la sécurité des enfants qui portaient les emblèmes des équipes.
Puis, par amitié, je devins ordonnance « honoraire » du général Vaillant. Grand général de notre Légion ! Je l’accompagnais partout. Je garde pour moi ces instants de complicité, de camaraderie d’arme et d’amitié. Cela dura jusqu’à la mort du général, le 22 juin 2011. Auparavant, le général Dary, alors gouverneur militaire de Paris, m’avait fait entré au sein de la Réserve citoyenne.
Voilà comment je suis parvenu jusqu’à vous, camarades de la Réserve ! »