Photo d'archives non datée de soldats allemands (à l'arrière) offrant de se rendre aux troupes françaises, dans une tranchée à Massiges, dans le nord-est de la France. Coll Odette Carrez.Reuters
Christophe Forcari, commandant ad honores dans la Réserve citoyenne du Gouverneur militaire de Paris, est journaliste à Libération. Voici l’un de ses derniers articles.
« Le général Elrick Irastorza, qui a présidé la mission du centenaire de la Première Guerre mondiale, publie «La tranchées des poncifs. Les mythes de la Grande Guerre décryptés». Il fait œuvre utile pour corriger les révisions de l'histoire de 14-18.
L’histoire ne se répète jamais. Elle balbutie parfois et fait sens le plus souvent. Elle se télescope avec le présent et percute notre quotidien. Souvent en empruntant des chemins buissonniers pour mieux se rappeler à notre bon souvenir. Elle ravive la mémoire des hommes qui l’ont souvent défaillante.
Une fois passée la liturgie des commémorations officielles de l’armistice de la Première Guerre mondiale, les drapeaux roulés dans leurs étuis et leurs porte-drapeaux retournés au coin de l’âtre, les discours des autorités dissipés, ne reste plus alors que les habituels clichés sur «la Grande Guerre». Ancien chef d’Etat-major de l’armée de terre, le général Elrick Irastorza, qui a présidé la mission du centenaire de la Première Guerre mondiale, a décidé de les tailler en pièces : sus aux poncifs entourant ce conflit ! Il n’en recense pas moins de trente et un, qu’il analyse méthodiquement les uns après les autres pour mieux battre en brèche mythes et contre-vérités. Ces petites revisites de l’histoire, longtemps véhiculées et transformées de génération en génération par les récits familiaux des poilus revenus du front.
Ainsi la France, à la veille de la mobilisation générale le 1er août 1914, ne pensait qu’à la revanche, à reprendre l’Alsace et la Moselle, les yeux rivés «sur la ligne bleue des Vosges» selon l’expression de Jules Ferry. Or ce n’était pas tout à fait le cas. En 1887, en déplacement dans la Meuse, Raymond Poincaré déclare : «Ne négligeons rien pour la défense, ne faisons rien pour l’attaque.» Dans sa Nouvelle Première Année d’histoire de France, Ernest Lavisse écrit que «la France ne menace personne et ne demande à ses voisins que le respect de sa liberté et de ses droits. C’est pour se défendre et non pour attaquer qu’elle a reconstitué son armée». Pas franchement la preuve d’un esprit particulièrement belliqueux. Bien sûr, à la déclaration de guerre, le sentiment patriotique emportera ces velléités pacifiques.
Pantalon garance.
D’ailleurs, les officiers eux-mêmes ne pensaient guère à mener une offensive contre l’Allemagne, se contentant des joies de la vie de garnison à la Belle Epoque. L’armée française n’était pas forcément très bien préparée à cette guerre de l’ère industrielle, totalement inédite, à laquelle elle allait devoir faire face. Et les troupes à ce qu’elles allaient devoir subir. Preuve flamboyante de cette impréparation devenue un lieu commun, le fameux pantalon garance. Pour cette première guerre des temps modernes, le fantassin français était encore équipé comme au temps de Napoléon III. Mais le très voyant pantalon rouge n’est pas à lui seul responsable des 1,5 million de tués côté français, dont un tiers au cours des cinq premiers mois de la guerre. L’artillerie causera durant ce conflit les plus fortes pertes dans les rangs de l’infanterie. Plus que les assauts baïonnettes au canon hors des tranchées face aux mitrailleuses.
Parmi les autres poncifs dénombrés figure également celui des poilus volontairement enivrés avant d’être envoyés à l’abattoir, que la marine française, surnommée «la Royale», s’est contentée du service minimum durant ce conflit, ou encore que les troupes coloniales étaient envoyées en première ligne dans les pires conditions pour épargner le sang des soldats métropolitains. Mais deux autres clichés méritent vraiment un petit retour sur image. Le premier concerne l’année 1917, cette année terrible de l’offensive du Chemin des Dames menée par le général Nivelle, de ses mutineries et de son cortège de fusillés pour l’exemple. Une chanson populaire a longtemps entretenu la mémoire de cette sanglante bataille, la chanson de Craonne, devenue le symbole des chants antimilitaristes.
«Adieu la vie, adieu l’amour,
Adieu toutes les femmes.
C’est bien fini, c’est pour toujours,
De cette guerre infâme.
C’est à Craonne, sur le plateau,
Qu’on doit laisser sa peau»
Moins de fusillés en 17 qu’en 14.
En novembre 1998, Lionel Jospin, alors Premier ministre de cohabitation de Jacques Chirac, est le premier personnage officiel à se rendre en ce lieu hautement symbolique. Dans son discours, il demande alors la réhabilitation des fusillés de 1917. Cette troisième année de guerre ne fut pas, et de loin, la plus répressive à l’égard des soldats de la part des autorités militaires. En 1914, 206 soldats seront condamnés à mort et traînés devant le peloton d’exécution, 296 en 1915, 136 en 1916 et 89 en 1917. Cette bataille inutile, contrairement aux idées reçues, ne fut pas la plus meurtrière. Lors de l’offensive de la Somme en 1916, 272 970 hommes tombèrent au champ d’honneur, 163 000 lors de la bataille de Verdun et 48 400 sur le Chemin des Dames.
Enfin, pour conclure son recensement, l’ancien président de la mission du centenaire aborde ce qui constitue selon lui le poncif des poncifs. A savoir que les autorités militaires auraient pris le pas sur le pouvoir politique jusqu’à ce que Clémenceau remette les choses dans l’ordre. Une question, celle des relations entre le soldat et le politique faites de défiance parfois, de subordination toujours, reste toujours d’actualité. La démission forcée du chef d’Etat-major des armées, Pierre de Villiers, en juillet 2017, suite à la remontée de bretelles brutale («Je suis votre chef») d’un Emmanuel Macron fraîchement élu, en est la plus récente illustration. En fait, les relations entre l’armée et la République ont fluctué au gré des années, de l’ampleur des défaites ou des avancées sur le front. A certains moments, les politiques décidèrent de déléguer un certain nombre de prérogatives aux militaires, comme lorsque le gouvernement décréta l’état de siège. Mais au bout du compte, la décision finale, la promotion de tel ou tel général de haut rang ou sa mise à l’écart, revenait toujours au gouvernement.
Tous ces poncifs révèlent au moins une chose, que la mémoire collective française s’est appropriée cette Grande Guerre qui a touché chaque village. Une mémoire d’image d’Epinal transmise, en partie, par la tradition orale. »
La Tranchées des poncifs. Les mythes de la Grande Guerre décryptés. Général Elrick Irastorza. Ed. Pierre de Taillac, 400 pp., 14,90 euros.
NB : au mois de mars 2020, à l’occasion d’une conférence de la Réserve Citoyenne « Mardi du Gouverneur », le général Irastorza viendra présenter son ouvrage.
Christophe Forcari