L’engagement.
Giacomo Signoroni est né en 1921 dans le petit village de Castagneto Po – connu depuis que sa native la plus célèbre, Carla bruni, est devenue Première dame de France – situé à quelques kilomètres de Turin, au cœur du Piémont. Les industries automobiles Fiat et l’agriculture, entres autres, assurent la prospérité de la région.
« J’ai assisté à pas mal d’atrocités, indique Giacomo Signoroni, à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Les Italiens étaient les alliés des Allemands. Avec eux, cela pouvait aller. Tout a dégénéré quand les Américains sont arrivés et que la population s’est coupée en deux : il y avait d’un côté ceux qui voulaient se battre pour le Duce, de l’autre, ceux qui voulaient aider la libération du pays. Puis le Duce a été renversé et la liberté est revenue. Mais j’en avais trop vu. J’ai décidé d’émigrer en France, vers Nice et de m’installer. Après quelque temps, je me suis engagé dans la Légion étrangère ».
La 13ème DBLE.
La 13ème Demi-brigade de la Légion étrangère (DBLE) est créée en 1940, à partir de volontaires du 1er régiment étranger d’infanterie et de troupe basées au Maroc. Elle est alors composée de 55 officiers, 210 sous-officiers et 1.984 caporaux et légionnaires. Destinée à combattre en Finlande contre les troupes de la Wehrmacht, elle est finalement envoyée en Norvège, à Narvik et se couvre de gloire pour son baptême du feu. Après l’armistice, son état-major est placé en Angleterre. Une partie des légionnaires reste dans ce pays et intègre les unités de la France Libre tandis que d’autres rejoignent l’Afrique du Nord. A partir de 1942, la 13ème DBLE est de tous les combats pour la libération de la France : Bir-Hakeim, Tobrouk, l’Italie puis le débarquement de Provence et la course vers les Vosges et l’Alsace.
A Nice, en avril 1945, le général de Gaulle embrasse le drapeau de l’unité, qu’il vient de décorer de la Croix de la Libération.
Dans le même temps, le tout jeune légionnaire, Giacomo Signoroni (il prend le pseudonyme de Signorini) intègre l’unité et part pour Bizerte en Tunisie. En son sein, il côtoie des hommes qui vont devenir des célébrités, comme le général Saint-Hillier (Grand Croix de la Légion d’honneur, Compagnon de la Libération), ou Pierre Messmer, qui un jour sera Premier ministre de la France. Quelques mois plus tard, la Guerre d’Indochine est déclenchée.
La 13ème DBLE est envoyée en mars 1946 à Saigon. Sous le commandement du colonel Brunet de Sairigné, cette unité participe à tous les engagements en Cochinchine, au Cambodge et dans le centre du Vietnam, l’Annam. Les chiffres témoignent de l’âpreté des combats : entre 1946 et 1951, l’unité perd 80 officiers, 307 sous-officiers et 2.334 légionnaires.
Giacomo Signoroni : « Le colonel Brunet de Sairigné était un très grand chef. Plus jeune colonel de l’armée française de l’époque, il nous emmena très loin et dans des conditions très difficiles. Il faisait partie de ses hommes qui n’ont pas besoin de secouer le cocotier pour se valoriser ! Il ne se passait pas une semaine sans que nous partions en patrouille pour débusquer des Viets. Nous avions déjà occupé la plaine des Joncs, au sud de Saigon, près de la ville de Mytho, dans l’estuaire du Mékong. Nous nous déplacions sans arrêt. Mon pire souvenir de cette époque reste bien ce 1er mars 1948. J’étais de poste. Le colonel était parti pour encadrer un convoi sur la route de Dalat. Je la connaissais bien cette route. Je m’étais fait allumer quelques semaines plus tôt par un déserteur : un communiste français ! Je l’ai su bien plus tard : c’était un gars de la cellule de Courbevoie. Pour le colonel, il y eut une embuscade au kilomètre 113 et ce fut un massacre. Le soir, nous étions au courant de la tragédie qui nous laissa sans voix. Il avait 35 ans et c’était un chef exceptionnel et certainement un des meilleurs qu’aie connu la Légion étrangère ».
La compagnie para du 3e REI.
L’une des lacunes de la Légion en Indochine était le manque d’unité de parachutistes. Pour combler ce vide, le commandement décide le 1er avril 1948 la création d’une compagnie au sein du 3e régiment étranger d’infanterie. Mais pour la gestion au quotidien, l’unité dépend du 1er régiment de chasseurs parachutistes. Elle est stationnée pour sa formation à Hanoi.
Formée de volontaires venus des unités de la Légion présentes en Indochine, elle a, à sa tête, un jeune lieutenant repéré pour ses qualités de meneur d’hommes : Paul Arnaud de Foïard. Il est aidé par les lieutenants Morin, Camus, Audoye, Salles et le sous-lieutenant Vion. Mais le commandement du lieutenant ne dure pas : malade, il est rapidement remplacé par le lieutenant Morin. Ce dernier s’appuie sur des sous-officiers : 1 adjudant, 11 sous-officiers (dont le sergent Signoroni), deux caporaux-chefs, 15 caporaux, 24 1e classes et 89 légionnaires.
Les indications qui suivent sont pour la plupart issues du Journal de Marche et des Opérations de la compagnie. Le lieutenant Audoye l’avait fait dactylographié en plusieurs exemplaires mais en avait conservé l’original. Soixante quatre années après les faits, ses trois fils ont remis en mains propres au colonel commandant le 3e REI le document fameux.
Retour à 1948 : l’entraînement ne tarde pas avec des tirs au fusil 36, au PM, des essais des lance-grenades de 50. Souvent, l’unité utilise le stand de tir de l’armée de l’air situé à l’aéroport militaire de Bach-Mai. Le 22 avril, les légionnaires en sont déjà à leur 4e saut en parachute. Le lendemain, départ en patrouille pour investir le village de Duyen Duong.
Le 30 avril, anniversaire de la bataille de Camerone, le Haut-commandement décide de consigner tous les légionnaires, de peur de débordements… funeste erreur ! « Les légionnaires sortirent quand même. Quitte à être tous punis ! Il est vrai que des bars furent démontés et quelques filles se souvinrent des beaux légionnaires ».
La compagnie est placée sur la Route coloniale 4 (RC4). Le général (2S) Jacques Maillard, Chef de corps du 503ème Régiment de Chars de Combat entre 1986 et 1988, a écrit : « La RC4 n’avait de route que le nom. C’était une piste élargie (d’environ cinq mètres) et empierrée, tout juste suffisante pour permettre le passage des camions et des blindés légers qui l’empruntaient pour aller ravitailler Cao Bang, ainsi que les agglomérations et les postes intermédiaires. Cette route reliait des massifs rocheux, « les calcaires », par un itinéraire sinueux, parfois escarpé, passant par des cols élevés et des gorges profondes, et franchissant de nombreux ponts ou radiers. La saison des pluies (mai à septembre) était éprouvante. On ne pouvait pas trouver mieux pour tendre des embuscades aux convois. Le Vietminh installait ses bases de feu sur les points dominants, « les calcaires », et ses bases d’assaut près de la route, bien camouflées dans la végétation luxuriante. Sur plusieurs dizaines de kilomètres, c’était un véritable coupe-gorge. Les blindés sautaient sur les mines. Les camions étaient incendiés. Les blessés agonisaient. Les légionnaires (mais aussi les coloniaux, les tirailleurs indochinois et nord-africains, les goumiers et les sénégalais) mouraient dans des combats violents et inégaux ».
Le 30 septembre 1948, la 1e section et deux groupes de la 2 et de la 3 forment un groupe de mortiers pour escorter un convoi sur Bac-Kan. Il s’agit pour lui de relier Na Fac par le col des Vents. Le mois suivant la compagnie para s’installe à Lang Son et effectue un saut dont la mission consiste en la fouille de villages qui peuvent cacher des éléments rebelles.
Noël 1948. La compagnie fête la fin de l’année avec un banquet qui rappelle à tous la métropole : andouille de vire, jambon de Bayonne, saucisson à l’ail, asperges d’Argenteuil. Une distribution de cadeaux est organisée à l’hôpital de Lanessan.
Janvier 1949 : opérations à Lac Tho et Noac Koï, puis en commun avec le 1er RCP le mois suivant à Lac Dao. Le capitaine Pierre Segrétain rend visite à la compagnie. Une fois, la compagnie est envoyée à Ta Lunc pour desserrer l’étau que les Bodoïs ont placé autour de la compagnie d’un certain capitaine du nom d’Hélie Denoix de Saint-Marc. Au printemps 1949, la compagnie est envoyée en opération à Lao Kay puis sur les pics de Coc-Xam.
Giacomo Signoroni : « Il fallait tout le temps faire attention. Etre sur ses gardes. Un soir, alors que j’étais chef de poste, un légionnaire s’est endormi et 20 tirailleurs ont été égorgés dans leur sommeil par les Viets. Je peux vous dire que le lendemain, je mettais le même gars de garde : il avait un sifflet, une grenade et un bambou. Et je lui ai dit : maintenant, on verra bien si tu vas t’endormir : si tu vois des Viets, le sifflet c’est pour nous prévenir, la grenade pour les repousser et le bambou pour te battre ! »
Mais le 31 mai 1949, par décision 220/FTEO/1/0 la compagnie parachutiste du 3e REI est dissoute à partir de minuit et son effectif est affecté au 1er BEP. Quelques jours plus tard, les sergents Signoroni et Morhange terminent leur séjour en Indochine. Ils prennent le train pour Hanoi avant d’embarquer sur le Pasteur pour la métropole.
La RC4, qui n’a jamais été maîtrisée totalement depuis la fin du 19ème siècle, coûte trop cher, en vies humaines et en moyens. En Mai 1950, grâce à une attaque éclair, la Brigade 308 du Vietminh prend un poste situé sur cette RC4, entre Cao Bang et Lang Son : Dong Khé. Le 27 mai, le 3ème GCCP du commandant Decorse est parachuté et, aidé du 10ème Tabor marocain, reprend rapidement le poste. L’Armée française pense la situation stabilisée et décide finalement l’évacuation de Cao Bang pour le début du mois de septembre 1950.
L’opération est confiée au colonel Constans qui commande le secteur depuis Lang Son. C’est-à-dire très loin de la zone même des opérations. Le succès de l’évacuation repose sur le recueil de la colonne de Cao Bang du colonel Charton par la colonne du colonel Lepage, lui-même venant de Lang Son. Au même moment, le poste de Dong Khé est à nouveau attaqué, et pris, par les Bodoïs. Le plan de Giap, chef militaire du Vietminh fonctionne parfaitement : le colonel Lepage commence par porter secours aux légionnaires qui défendent Dong Khé. Puis, apprenant que la colonne Charton a quitté Cao bang, le colonel Lepage, alors qu’il est dans une position critique, décide de remplir sa mission initiale. Il lance ses hommes à travers la jungle afin de récupérer la colonne Charton. Dans le même temps, plutôt que de rebrousser chemin, la colonne Charton, lassée d’être harcelée par les Bodoïs, progressant avec une lenteur infinie sur des pistes déformées par les pluies, finit par abandonner ses matériels et équipements et applique l’ordre de défendre la colonne Lepage durement touchée par la guérilla.
C’est une catastrophe. Sortant des routes, les hommes du CEFEO (Corps Expéditionnaire Français en Extrême-Orient) sont massacrés par les troupes communistes vietnamiennes. Face à 5.000 soldats français se trouvent plus de 20.000 ennemis, qui connaissent parfaitement le terrain. Se sentant perdus, les officiers français donnent l’ordre de constituer de petites unités afin qu’elles puissent, par chance, s’exfiltrer des griffes du Vietminh. Seuls 12 officiers et 475 soldats parviennent à regagner That Khé, camp qui sera lui-même évacué quelques temps plus tard, dans des conditions tout aussi dantesques.
Quant aux survivants des combats, encerclés, ils sont emmenés au Camp n°1, situé dans cette région du Haut-Tonkin.