« Irrésistiblement, il regarda la mer. Elle était là, immobile, brillante sous le soleil, avec, à l’horizon, cette légère vapeur blanche des beaux temps. Elle fascinait. On ne voyait qu’elle. Tous les yeux se tournaient vers elle ardemment. Une si petite mer ! Si petite qu’on l’avait franchie à la nage ! Et elle s’étendait là, si calme, si accueillante, sous le soleil. Cela paraissait si facile d’atteindre l’autre bord ! La pensée s’y élançait d’un bond, en une seconde. Et sur l’autre bord, un monde intact commençait. Sur l’autre bord, il y avait l’ordre, le calme, la sécurité. »
Ces quelques lignes sont extraites du roman Week-end à Zuydcoote (prix Goncourt 1949), dans le lequel Robert Merle décrit les pérégrinations d'un soldat français dans la poche de Dunkerque en mai 1940, après la défaite franco-britannique. Les plus cinéphiles se souviennent aussi de Jean-Paul Belmondo, interprétant le sergent Maillat, héro désabusé de cette fin de semaine à la fois cocasse et tragique, dans l’adaptation au cinéma par Henri Verneuil en 1964.
Robert Merle, agent de liaison avec les forces britanniques, est à Dunkerque en mai 1940. Il ne rejoindra pas l’Angleterre : fait prisonnier par les allemands, il reste en captivité jusqu’en 1943. Dans le roman, le sergent Maillat trouve la mort le dimanche après-midi enseveli sous les décombres de la maison bombardée où il s’est réfugié avec son amie Jeanne. Jeanne, qu’il a sauvé quelques heures plus tôt de deux violeurs, soldats français comme lui.
Raymond Foison, soldat au 19ème Train, dont le nom apparait sur le monument aux morts de Chatillon, a lui aussi trouvé la mort dans la poche de Dunkerque, le 31 mai 1940, alors qu’il est passager sur le torpilleur le Siroco, lors de l’opération Dynamo. Déclenchée le 21 mai 1940, celle-ci a pour but d'évacuer les effectifs des armées alliées britanniques regroupées dans la poche de Dunkerque à destination de Douvres.
Le Siroco, une des dix-huit unités de la deuxième flottille de torpilleurs, est commandé par le Capitaine de Vaisseau de Toulouse Lautrec. Dans les semaines précédentes, le valeureux bâtiment a déjà envoyé par le fond trois sous-marins, dont deux en un jour. Il a également manqué se faire couler, alors qu’il est en mission de soutien dans les eaux hollandaises : une bombe lâchée par un Junkers 86 touche le navire mais n’explose pas.
Le 30 mai le Siroco quitte le port de Douvres pour rejoindre Dunkerque par la route du nord. Il doit forcer le passage pour atteindre la jetée dunkerquoise : un navire anglais en bloque l’entrée ! Selon les témoignages son but est d’empêcher l’accès du port aux bâtiments venus chercher leurs troupes !
En fin d’après-midi, le Siroco embarque sept-cent-cinquante soldats, dont le soldat Raymond Foison, et reprend la route Y, la plus longue, vers les côtes anglaises. Vers deux heures du matin, alors que le navire prend le tournant d’une bouée éclairée, deux torpilles lancées par un schnell-boot allemand foncent sur lui par l’avant. Le commandant de Toulouse Lautrec fait éviter de justesse les engins de mort par une déviation rapide. Malheureusement deux autres torpilles atteignent le navire français sur son arrière, arrachant les deux hélices et occasionnant une voie d’eau.
Alors que le commandant demande par radio de l’aide qui ne vient pas assez tôt, un avion stuka ennemi qui rôde dans les parages repère le Siroco et pique sur lui malgré le feu des mitrailleuses du bord. Le stuka lâche deux bombes. La soute à munitions explose, emportant la moitié arrière du bâtiment, et entraînant dans la mort tous ceux qui s'y trouvent. Le Siroco coule en quelques minutes, son étrave dressée vers le ciel. Quelques hommes peuvent monter dans les radeaux de sauvetage.
Malgré l’arrivée à la rescousse d’un contre-torpilleur polonais et d’un paquebot anglais, le sauvetage est rendu particulièrement difficile par les grandes quantités de mazout libérées dans la mer. Le bilan est lourd, très lourd : six-cent-quatre-vingt morts ou disparus. Seuls deux cent soixante dix survivants sont recueillis.
Lors de l’opération Dynamo, trois-cent-trente-huit-mille-six-cent-quatre-vingt soldats, dont cent-vingt-trois-mille Français, sont ainsi débarqués en Angleterre. Cette évacuation maritime entraîne la perte d'un tiers des trois-cent-trente-six navires engagés. Elle cesse le 4 juin 1940: les Allemands viennent d'envahir la ville de Dunkerque.
Antoine Junqua.
Sources :
Week-end à Zuydcoote, Robert Merle, Ed. Folio
Site « Epaves au large de Dunkerque », http://dkepaves.free.fr/