Le Bachaga Boualam (1906-1982), fut capitaine de l’Armée française dans les Tirailleurs algériens, député d’Orléansville, Vice Président de l’Assemblée Nationale de 1958 à 1962, maire, conseiller général.
Les populations désignées aujourd’hui comme « harkis » ou « Français musulmans » correspondent à l’ensemble des musulmans rapatriés qui se sont battus du côté de la France pendant la guerre d’Algérie, ainsi qu’à leurs descendants, soit une population évaluée à environ 400.000 personnes.
1) Qui étaient les harkis ?
Le terme harka (mot arabe signifiant « mouvement ») désignait les unités supplétives formées à l’échelon des « quartiers », à partir de groupes civils d’autodéfense équipés d’armements défensifs, parfois promus « commandos de chasse ». Pour l’état-major de l’Armée française, tirant les leçons de la guerre d’Indochine, il s’agissait de tenir le terrain en s’attirant le soutien et la collaboration des populations locales contre l’ALN (Armée de libération nationale, bras armé du Front de Libération Nationale).
Outre les harkis, les forces supplétives engagées aux côtés des troupes française comprenaient des groupes de moghaznis (éléments de police), constitués à l’échelon des localités et placés sous les ordres des chefs des sections d’administration spécialisées (SAS), ainsi que des unités civiles chargées de protéger certains édifices et de veiller à l’ordre public, les « groupes mobiles de protection rurale » (GMPR), dénommés plus tard « groupes mobiles de sécurité » (GMS) et assimilés aux CRS.
2) Comment étaient-ils recrutés ?
L’affirmation selon laquelle tous les harkis furent « volontaires » appelle des nuances. Le général Maurice Faivre, ancien chef de harka, fait honnêtement la part des choses : « Si l’on excepte les fonctionnaires et les militaires appelés, qui avaient la possibilité de se soustraire à l’autorité française en rejoignant la rébellion ou un pays étranger, le choix des autres Algériens résultait d’un engagement volontaire dont les motivations étaient très diverses : pression des notables et de l’armée française, attachement à l’ordre, francophilie, sévices du FLN, rivalités tribales et volonté de vengeance, désœuvrement et besoin alimentaire, option politique ou idéologique, contrainte policière et retournement d’opinion ».
Il y eut, en gros, deux modes de recrutement : collectif dans les villages en autodéfense, puis individuel à partir de déserteurs du FLN ou de prisonniers « convertis », ces deux dernières catégories étant très minoritaires (de 4% à 5%) par rapport à la masse des engagements collectifs.
3) Combien étaient-ils ?
Les forces de l’ordre françaises comprenaient globalement, 88.000 supplétifs musulmans. L’effectif des harkas proprement dites était de 28.000 hommes quand, en décembre 1958, le général Challe, devenu commandant en chef des troupes françaises, obtint l’autorisation d’en doubler le nombre.
Trois ans et demi plus tard, lors de la proclamation du cessez-le-feu, un rapport transmis à I’ONU évaluait le nombre des musulmans pro-français menacés à 263.000 hommes, soit 20.000 militaires de carrière, 40.000 militaires du contingent, 58.000 harkis, 20.000 moghaznis, 15.000 membres des GMPR et GMS, 60.000 membres de groupes civils d’autodéfense, 50.000 élus, anciens combattants, fonctionnaires.
4) Quel sort les accords d’Evian leur ont-ils réservé ?
Les accords d’Evian sont signés le 18 mars 1962. La France reconnaît le FLN comme représentant exclusif de la population d’Algérie. Le chapitre II des accords, consacré à la « protection des droits et libertés des citoyens algériens de statut civil de droit commun » n’évoque pas les musulmans pro-français qui se retrouvent sans aucune protection. Les harkis deviennent les « oubliés » de l’histoire.
En fait, dès le mois de juillet 1961, l’accession de l’Algérie à l’indépendance ne faisant plus de doute depuis l’annonce du référendum d’autodétermination, l’armée française commence à désarmer les harkis.
5) Combien ont trouvé refuge en France ?
Selon les statistiques officielles, le nombre total des rapatriés d’Algérie s’élevait, en septembre 1962, à 596.884 personnes, dont 21.000 musulmans et, parmi ces derniers, 12.500 harkis.
Le 29 juin 1962, à l’Assemblée nationale, le ministre d’Etat chargé des affaires algériennes, Louis Joxe, confirma publiquement l’existence des directives gouvernementales tendant à limiter le rapatriement en France des harkis et de leurs familles, favorisé, clandestinement, par certains officiers et sous-officiers choqués par l’abandon des supplétifs. Le ministre des affaires algériennes assuma la responsabilité d’une note en date du 25 mai 1962, stipulant notamment : « Les supplétifs débarqués en métropole en dehors du plan général de rapatriement seront renvoyés en Algérie [...]. Il conviendra d’éviter de donner la moindre publicité à cette mesure [...]. Les promoteurs et les complices de rapatriements prématurés seront l’objet de sanctions appropriées. »
6) Combien ont été victimes de représailles ?
Entre l'estimation du contrôleur général aux armées Christian de Saint Salvy (150.000 morts) et celle de l'ancien officier SAS, Nicolas d'Andoque (60.000 morts), il semble d'après J.-C. Jauffret, auteur de l'étude Historiens et géographe, qu'un « consensus rassemble peu à peu les historiens français et qu'une évaluation de 60.000 à 80.000 victimes soit retenue ».
Il n’existe ni bilan officiel ni certitudes, sinon celle que les harkis et leurs familles, coupables de « trahison » aux yeux des autres Algériens, ont été victimes d’atrocités en tout genre, avant même la proclamation de l’indépendance et jusqu’en 1964, sans que les autorités françaises n’interviennent et sans que l’opinion publique nationale ou internationale ne s’en émeuve. En 1965, la Croix-Rouge recensait encore 13.500 anciens supplétifs incarcérés en Algérie.
7) Etre harki en France
Lors de l’arrivée en Métropole, les harkis et leurs familles sont pour la plupart regroupés dans des camps ou des " hameaux forestiers " isolés. Les harkis rescapés ont vécu avec leurs familles dans des conditions précaires qui ont perpétué leur exclusion, avec un taux de chômage très élevé parmi leurs enfants.
Pendant une dizaine d’années, à partir de l’indépendance de l’Algérie, les gouvernements successifs ont paré au plus pressé : loger dans d’anciens camps militaires (Larzac, Bias, Bourg-Lastic, Rivesaltes, etc.) ceux des anciens harkis et de leurs familles qui avaient réussi à se réfugier en France ; les nourrir, les employer. Il s’agissait, ensuite, d’aider à leur insertion sociale.
La génération des enfants de harkis malgré des réussites en son sein, a été une génération fragilisée et meurtrie par le drame des parents. Quatre-quatre ans après la guerre d’Algérie, cette communauté profondément attachée à la France a payé un lourd tribu. Restent la mémoire et le souvenir à transmettre aux plus jeunes pour perpétuer et ne rien oublier.
8) L’attachement à l’armée française
Les officiers, les militaires, les anciens combattants, restés fidèles à la France, les supplétifs également, sont les héritiers d'une longue tradition militaire. Leurs ancêtres, eux-mêmes pour les plus âgés, se sont battus sur la plupart des champs de bataille où la France est présente depuis plus d'un siècle, au sein de l'armée d'Afrique où le nombre de soldats musulmans dans les régiments de tirailleurs, zouaves, spahis, atteint 40 à 50 % des effectifs, dont un tiers d'engagés volontaires. « Fils d'une tradition militaire très ancienne, faite de bravoure, d'abnégation devant le danger, de respect de l'ennemi, ils ont écrit des pages admirables de l'histoire de nos armes (...) ils ont acquis des droits sur nous » (1986, Jacques Chirac Premier ministre).
«
L’histoire des harkis fait partie de l’histoire de France. Elle doit être pleinement assumée.
Bibliographie :
(1) Bachaga Boualam " Les Harkis au service de la France".
Editions France Empire, 1962.
(2) Nicolas d'Andoque "Guerre et Paix en Algérie. L'épopée silencieuse des SAS."
Edité par SPL Société de Production Littéraire 10 rue du Regard 75006 Paris.
(3) Mohand Hamoumou " Et ils sont devenus Harkis ".
Editions Fayard 1991.
(4) Abd El Aziz Méliani "La France honteuse. Le drame des Harkis"
Editions Perrin 76 rue Bonaparte 75006 Paris / L'Harmattan 16 rue des Ecoles 75005 Paris.
Kamel Benamra, fils de Harkis, haut fonctionnaire, chevalier de la Légion d’honneur, a été directeur de l’emploi et de la formation de l’Agence nationale pour la cohésion sociale et l’égalité des chances.