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Réserve Citoyenne du Gouverneur militaire de Paris

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Jünger et Remarque : deux récits opposés de la guerre allemande.

Publié par Réserve Citoyenne Armée de Terre IDF sur 14 Décembre 2018, 22:43pm

Catégories : #Mémoire

«A l'Ouest, rien de nouveau», film de Lewis Milestone adapté de l'œuvre de Erich Maria Remarque. Photo Picture Alliance.

«A l'Ouest, rien de nouveau», film de Lewis Milestone adapté de l'œuvre de Erich Maria Remarque. Photo Picture Alliance.

Christophe Forcari est journaliste, entre autres au journal Libération. Et il est aussi commandant dans la Réserve Citoyenne du Gouverneur Militaire de Paris, au sein du Groupe Communication Evénements.

 

Dans le cadre du Centenaire de la fin de la Première Guerre mondiale, Christophe a écrit une série d’articles pour le journal Libération. Il a eu la gentillesse de nous permettre la reproduction de celui-ci.

 

 

Dans le « no man’s land ».

 

Rats, poux, cafards, punaises ignorent cette frontière baptisée «no man’s land», cet espace de terre dévasté, raviné séparant les lignes de front où les soldats, sortant des tranchées, n’y vont que pour monter à l’assaut et y mourir. Les bêtes, elles, s’y faufilent, s’y repaissent de cadavres sans craindre le feu des tirs roulants d’artillerie ou la faux des rafales de mitrailleuses. Rats, poux, cafards, punaises infestent aussi bien les tranchées «boches» que françaises, pullulent dans les replis des tenues feldgrau aussi bien que dans les pans des capotes bleu horizon. Ce qui grouille, bouge, ne se connaît pas d’ennemis. «Ce n’est pas commode de tuer les poux un à un, lorsqu’on en a des centaines. Ces bêtes-là sont assez dures et les écraser éternellement avec les ongles devient ennuyeux. C’est pourquoi Tadjen a fixé, avec du fil de fer, le couvercle d’une boîte à cirage au-dessus d’un bout de bougie allumé. Il suffit alors de jeter les poux dans cette petite poêle ; on entend un grésillement et ils sont liquidés», relate l’Allemand Erich Maria Remarque dans A l’Ouest rien de nouveau.

 

Brodequins et bottes.

 

La même boue, celle des terres de l’Argonne, de Champagne ou de la Somme épuise pareillement les combattants des deux camps, soudés à cette glèbe par les semelles lourdes de leurs brodequins ou de leurs bottes. L’horreur n’est pas pire dans un camp que dans l’autre. Elle loge les combattants des deux à la même enseigne.

 

Au gré des offensives et des contre-offensives qui se succèdent sans relâche pour une crête, un passage ou plus vainement encore quelques mètres de terrain, les morts se déplacent, passent d’une ligne à l’autre comme les bestioles de toute sorte. A moins que ce ne soient les vivants qui continuent à bouger encore. Ce jour-là, le jeune fantassin Ernst Jünger et ses camarades parviennent à reprendre une position tenue par les Français. Après un répit de courte durée – ce sommeil sans repos de tous combattants –, il s’éveille dans un bois, dans l’humidité pénétrante du petit matin. Voici ce qu’il voit. «Une chair de poisson, décomposée, luisait d’un blanc verdâtre dans l’uniforme en lambeaux. […] Près de moi, une forme humaine était accotée à un arbre. Elle portait les cuirs brillants des Français et avait encore au dos le sac haut chargé, sommé d’une gamelle ronde. […]  Des orbites caves, quelques touffes de cheveux sur le crâne d’un brun noir m’apprirent que je n’avais pas affaire à un vivant. Un autre était assis, le buste replié en avant sur ses jambes, comme s’il venait de s’écrouler. Les alentours étaient parsemés d’autres cadavres par douzaines, pourris, calcinés, momifiés, figés dans une inquiétante danse macabre. Les Français avaient dû tenir des mois auprès de leurs camarades abattus, sans pouvoir les ensevelir», raconte-t-il dans le chapitre d’Orages d’acier consacré à la bataille des Eparges où il recevra sa première blessure. Hasard ironique de l’histoire, en face, un autre écrivain, Maurice Genevoix y était également grièvement blessé.

 

«Dans le no man’s land déchiqueté, les morts de l’attaque étaient étendus, la tête vers l’ennemi ; les uniformes gris ressortaient à peine sur le sol. Un géant au collier de barbe rousse, souillé de sang, regardait le ciel de ses yeux fixes, les mains agrippées à une terre molle. Un jeune gars se tordait dans un trou d’obus, avec sur le visage ces teintes terreuses qui annoncent la mort. Nos regards semblaient l’irriter ; d’un geste indifférent, il tira sa capote par-dessus sa tête et cessa de remuer», écrit Jünger. Il avait soif d’aventure. A ses dix-sept ans, il fugue pour s’engager dans la Légion étrangère où son père vient le rechercher. Dès l’annonce de la mobilisation, il s’enrôle. Orages d’acier paraîtra en 1920. Jünger qui mourra à 103 ans, aura été blessé quatorze fois pendant toute la durée du conflit et, pour cela décoré, de la plus haute distinction allemande, la croix du mérite ainsi que de la croix de fer.

 

L’écrivain croit à la dimension mystique, quasi sacrée et rédemptrice du combat, de celle qui révèle l’homme à lui-même. «Jamais encore une génération n’a resurgi par ce portail grandiose et ténébreux que cette guerre l’a été dans la lumière de la vie. Le combat père de toutes choses nous a martelés, ciselés et trempés pour faire de nous ce que nous sommes.»

 

Drôle de guerre.

 

De son récit initial, celui qui finira la guerre comme officier ayant commandé une section de Sturmtruppen – les troupes d’assaut – tirera, en 1922, une réflexion de poète guerrier sur «l’expérience intime de la guerre» : la Guerre comme expérience intérieure. Impossible de lire Orages d’acier sans poursuivre par cet essai. Un texte aujourd’hui encore toujours lu par des générations de jeunes officiers. En 1914, écrit-il, «l’humain se revancha en fracassante orgie de tout ce qu’il avait laissé perdre. Alors ses pulsions trop longtemps endiguées par la société et ses lois, redevinrent l’unique et le sacré, et l’ultime raison. Tout ce que le cerveau avait au cours des siècles taillé d’arêtes sans cesse plus tranchantes ne servit plus qu’à accroître la force du poing au-delà de toute mesure». Après-guerre, Jünger qui a entamé des études de sciences naturelles et d’entomologie, affiche des positions certes conservatrices mais n’adhère pas au nazisme Ce francophile, affecté à Paris pendant l’occupation, a rédigé un journal de la drôle de guerre. Dans une de ces pages, il dépeint avec minutie une espèce de libellule très rare. Un instant de grâce pour échapper aux nouveaux «orages d’acier» qui tonnaient à l’horizon.

 

A Jünger et son attrait pour les vertus guerrières antiques s’oppose Erich Maria Remarque, l’auteur d’A l’ouest rien de nouveau, roman résolument pacifiste publié en 1929. Comme un résumé des débats qui agitèrent l’Allemagne de l’entre-deux-guerres entre une partie de la communauté des anciens combattants qui considéraient que l’armée avait été victime d’un coup de poignard dans le dos perpétré par les ennemis de l’intérieur et l’autre qui s’époumonait à crier «plus jamais ça». Erich Maria Remarque faisait partie de ceux-là. «Je me lève, je suis très calme. Les mois et les années peuvent venir. Ils ne me prendront plus rien. Ils ne peuvent plus rien me prendre. Je suis si seul et si dénué d’espérance que je peux les accueillir sans crainte», livre Remarque à la fin du roman. Ultime constat pour une génération sacrifiée. A l’Ouest rien de nouveau fait écho au livre le Feu, de Barbusse, lui aussi militant pacifiste. «C’est l’automne. Des anciens soldats, il n’en reste plus beaucoup. Je suis le dernier des sept sortis de notre classe. Chacun parle d’armistice et de paix. Tout le monde attend. Si c’est encore une désillusion, ce sera la catastrophe. Les espérances sont trop fortes : il n’est plus possible de les écarter, sans qu’elles fassent explosion. Si ce n’est pas la paix, ce sera la révolution», écrit encore Remarque. Il est déchu de sa nationalité allemande en 1938.

 

Le 11 novembre 1918, l’armistice est signé. Les cloches sonnent à tue-tête. Les démobilisés des deux camps s’en retournent dans leurs foyers après avoir vécu quatre années de grands massacres. Pour ces deux vaincus, Remarque et Jünger, pas d’esprit de revanche au fil des pages. Jünger décide de se consacrer à l’étude des insectes qui vaut bien la communauté des hommes. Avant de reprendre la littérature pour témoigner. Comme ceux de l’autre côté de la ligne des tranchées.

 

 

 

Les écrivains en guerre 14-18 – «Nous sommes des machines à oublier», sous la direction de Nicolas Beaupré, éd. Gallimard/Historial de la Grande Guerre, 24 euros.

 

 

 

Sources :

 

  • Journal Libération.
  • Crédit photographique : Picture Alliance.

 

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