Christophe Forcari est journaliste, entre autres au journal Libération. Et il est aussi commandant dans la Réserve Citoyenne du Gouverneur Militaire de Paris, au sein du Groupe Communication Evénements.
Dans le cadre du Centenaire de la fin de la Première Guerre mondiale, Christophe a écrit une série d’articles pour le journal Libération. Il a eu la gentillesse de nous permettre la reproduction de celui-ci.
Alain Fournier.
«La terre digère les hommes mais elle continue à recracher ce qui lui est étranger, la ferraille et le cuir», expliquait le maire du nouveau village de Craonne reconstruit après la Première Guerre mondiale à l’écart de l’ancien village, rasé lors de l’offensive du Chemin des Dames en 1917. Chaque année, au temps des semaisons, le soc de la charrue fait remonter à la surface près de 600 tonnes de munitions. Et elle aura été longue, cette terre lourde de l’est de la France, à rendre son identité au lieutenant Henri-Alban Fournier du 28e régiment d’infanterie, l’auteur du roman le Grand Meaulnes, connu sous le nom d’Alain-Fournier. Ce n’est qu’en 1991 que sa dépouille sera identifiée. Il repose désormais dans le cimetière de Saint-Remy-la-Calonne, dans la Meuse.
Le jeune écrivain, qui n’aura fait qu’effleurer «le frémissement de la grâce» (selon l’historien Jean-Christian Petitfils), a publié en 1913 son seul et unique roman. Il est tombé au champ d’honneur le 22 septembre 1914 dans la tranchée de Calonne, face à la ligne de crête des Eparges, cinquante jours après la déclaration de guerre, le 3 août 1914. Il avait 28 ans.
Ce jour-là, un brouillard épais nimbe le bois où le lieutenant Fournier se tient avec sa compagnie. Il est atteint de deux balles au thorax et une troisième lui brise une côte. «Dans la mort seulement […], je retrouverai peut-être la beauté de ce temps-là», celui de son enfance, écrivait-il dans le Grand Meaulnes. Le 4 août 1914, il confiait par écrit à sa sœur Isabelle : «Je sens profondément qu’on sera vainqueurs.» Les lettres à Isabelle sont les seules où il évoque le conflit. Son abondante correspondance avec Jacques Rivière, le futur directeur de la Nouvelle Revue française, n’en fait pas mention. «Tout le monde ne sait peut-être pas qu’il est assez dur de s’avancer tout vivant, au comble de sa force, entre les bras de la mort», écrira après la guerre ce très proche ami d’Alain-Fournier, devenu son beau-frère.
Maurice Genevoix.
Un an plus tard, en 1915, Maurice Genevoix, le secrétaire perpétuel de l’Académie française, solognot comme Alain-Fournier, sera aussi grièvement blessé dans cette même tranchée de Calonne. De l’autre côté de la ligne de front, Ernst Jünger est également meurtri dans sa chair.
Charles Péguy.
Lieutenant de réserve, Charles Péguy, mobilisé dès le 4 août, meurt d’une balle en plein front le 5 septembre 1914 près de Meaux, lors de la première bataille de la Marne. Il a 41 ans et la guerre n’aura duré pour lui qu’à peine plus d’un mois. Il avait rencontré Alain-Fournier en 1910 rue de la Sorbonne, dans les locaux des Cahiers de la quinzaine, qu’il dirigeait. «Myope et affairé, il a le front têtu d’un boutiquier paysan. Ce sont des idées qu’il vend dans sa boutique, des idées qui l’enfièvrent, l’usent et le ruinent», le dépeint alors Alain-Fournier. Les deux hommes partagent un certain mysticisme, des origines modestes aussi. Ils s’apprécient.
Avant-guerre, Péguy, ex-élève de l’ENS, auteur entre autres de la République… notre royaume de France et de l’Argent fait figure de grande conscience nationale. Fournier et Péguy nourrissaient un certain idéalisme de la guerre. Deux hommes parmi les premiers à être tombés au front sans avoir pu poursuivre leur œuvre. A leurs côtés, une génération qui n’aura même pas pu la commencer.
Sources :
- Journal Libération.
- Crédits photographiques :
- Famille de Maurice Genevoix.
- Encyclopédie Wikipedia.