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Réserve Citoyenne du Gouverneur militaire de Paris

Réserve Citoyenne du Gouverneur militaire de Paris

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"Nous étions des survivants".

Publié par Réserve Citoyenne Armée de Terre IDF sur 3 Avril 2021, 18:33pm

Catégories : #Mémoire

1945 : Magdebourg en ruines.

1945 : Magdebourg en ruines.

Mars 2012, Issy-les-Moulineaux : nous rencontrons Monsieur Wolfgang Cotta.

 

Magdebourg.

« Je suis né en 1928 à Magdebourg, qui fut une cité de premier plan du temps du Saint-Empire Romain Germanique et haut lieu du protestantisme. Son université était d’ailleurs particulièrement réputée. Magdebourg, cité de l’Elbe, se situe aux confins des massifs de l’Allemagne centrale et de la grande plaine germano-polonaise ».

La ville de Magdebourg est également connue pour avoir présenté, par l’intermédiaire de son bourgmestre en 1654, Otto von Guericke, une expérience pour montrer la force de la pression atmosphérique. L’homme de science avait fait assembler deux demi-sphères en métal puis il avait fait le vide à l’intérieur. Pour réaliser sa démonstration, il avait fait attacher des chevaux de trait à chaque demi-sphère. Les animaux eurent beau déployer toute leur force, ils n’arrivèrent pas à séparer en deux la sphère ! Celles et ceux qui ont un ouvert une encyclopédie à la page de Magdebourg ont forcément lu cette anecdote.

« Mon père, originaire des Sudètes, s’était installé dans cette ville, comme photographe artistique. Là où il avait rencontré ma mère. Notre grand appartement, dans un immeuble du centre de la ville, en face de la cathédrale début gothique, était aussi l’atelier de mon père. Ses clients étaient surtout les acteurs et chanteurs des théâtres et de l’opéra de Magdebourg.

Pendant ma prime enfance, je n’étais absolument pas conscient de la situation, dans laquelle se trouvait l’Allemagne, sous la dictature d’Adolf Hitler ».

 

Le parti nazi au pouvoir.

Fondé au début des années 1920, le parti national-socialiste (« Nationalsozialismus » en Allemand), fort de 1.500.000 membres, fait campagne aux élections législatives de 1933 sur les thèmes de la sécurité, de l’indépendance du pays face à l’internationalisme (l’Allemagne a un « espace vital » à faire respecter) et le soutien aux classes paysannes et moyennes (le pays est toujours en crise économique) par un accroissement de la protection économique et sociale et l’assistance aux prix agricoles.

Les résultats sont sans appel : les partis de gauche (communistes et sociaux-démocrates) comptent 201 députés, ceux du centre et le parti bavarois, 92 députés. Quant au Parti national du peuple allemand, il envoie 52 de ses représentants au Reichstag. Le grand vainqueur est le parti national-socialiste avec 288 élus.

« Deux événements me sont restés en mémoire : j’avais 5 ou 6 ans, je sentais chez mes parents une certaine peur et angoisse. Ma sœur, 5 ans plus âgée que moi, me raconta bien plus tard qu’il fallait à cette époque prouver depuis deux générations son ascendance aryenne, ce que mon père ne pouvait pas, parce que son père (ou son grand-père je ne sais plus) était juif. Pour s’en sortir, il prétendit que les papiers de naissance de ses parents avaient disparu dans l’incendie de l’église de son petit village en Bohême.

Le deuxième événement fut la déclaration de la guerre en 1939. Je n’avais jamais vu mon père dans un tel désespoir. Il savait ce que voulait dire la guerre, car il l’avait vécu en tant que soldat autrichien pendant 1914-1918.

A partir de cette date, le parcours de ma vie, comme adolescent pendant les 6 ans de la guerre, et comme jeune adulte pendant les premières années après-guerre peut, peut-être, donner une certaine image de ce temps de la destruction de l’Allemagne, pas seulement matérielle, et de sa résurrection.

Je vivais les premières années de la guerre tout à fait normalement, inscrit dans un lycée humaniste de longue tradition (grec et latin), avec des professeurs âgés de grande érudition (tous les jeunes professeurs étaient mobilisés) ou le culte de National-socialisme était absent. Et comme tous les jeunes allemands âgés de 10 ans, je fus intégré dans la Jungvolk ».

 

De Deutsche Jungvolk à Hitlerjugend.

Le mouvement des Jeunesses hitlériennes est créé en 1922, sous le nom de Jungsturm Adolf Hitler. Obligatoire pour les jeunes enfants allemands, garçons et filles, il est organisé en classes d’âges :

  • Les Pimpf sont les plus jeunes. Ils sont admis à partir l’âge de six ans.
  • Les Deutsche Jungvolk regroupent les garçons de 10 à 14 ans.
  • Les Jungmädelbund gèrent les filles des mêmes âges.
  • Les Hitlerjungend sont les jeunes garçons de 14 à 18 ans, quand les Bund Deutscher Mädel sont les jeunes filles des mêmes âges.

Les jeunes gens sont encadrés par des adultes, bien entendu membres du Parti national-socialiste. Ils exigent une obéissance absolue et enseignent la doctrine nazie. Au sein des sections régionales, des concours sont organisés afin de sélectionner ceux des élèves pourront servir dans la Schutzstaffel (la SS « escadron de protection ») et ceux qui pourront se tourner vers la relève politique du parti nazi.

« J’avais un bel uniforme, et tous les mercredis et les samedis après-midi, nous faisions des exercices collectifs. Je commandais un petit groupe de camarades, et comme j’étais sportif, cela me convenait bien. Il y avait la guerre, qu’on vivait à travers les images des informations dans les cinémas, qui claironnaient les victoires de notre armée en Pologne et en France. Je sentais peut-être une problématique quand je me rappelle les violentes discussions entre mon père et son beau-père, antisémite et national-socialiste fanatique, qui dirigeait une agence d’assurances du groupe Albignia à Magdebourg. Je vois encore chez lui, entassés, les exemplaires du journal SS Der Stürmer, dont le sous-titre était Les juifs sont notre malheur. »

 

L’année 1943.

« Arrive 1943 : les bombardements avaient déjà bien commencé. Au début de cette année, ma mère mourut subitement d’une attaque cérébrale. Elle disparut en une journée, sans que mon père, ni notre médecin de famille, ne puissent faire quelque chose. Déjà, les urgences n’existaient plus, et la vie normale, quotidienne, avait changé en profondeur.

C’est effectivement le moment où ma vie changea et où je perdis mon insouciance. Je me servis de la mort de ma mère comme prétexte, pour ne pas être intégré – j’avais maintenant 14 ans – dans la Hitlerjungend.

A la fin de 1943, lors d’un grave bombardement, notre immeuble fut détruit. Quelques mois après, mon père, âgé de 56 ans, fut encore une fois mobilisé. Je me trouvai seul avec ma grand-mère maternelle dans une maison que mon père avait fait construire avant la guerre à la périphérie du centre de la ville ».

 

Magdebourg anéantie.

« A la fin de l’année 1944, à l’âge de 16 ans, je fus interné dans une caserne pour préparer mon intégration comme soldat dans l’armée. Un peu après, la caserne fut bombardée. C’était le 16 janvier 1945. Magdebourg fut pratiquement rasée par ce bombardement, qui détruisit 90 % de la ville, faisant plus de 7.000 morts en quelques heures. Notre maison fut anéantie lors de cet événement.

La vie était maintenant complètement désorganisée. Occasion pour moi de m’enfuir. Je quittai mon uniforme et, sans papiers, je partis en train, en Poméranie près de la mer Baltique, en me cachant dans les couloirs de gares, pour éviter les contrôles. C’est là que nous avions des amis qui tenaient une laiterie ; une condition qui me permettait de survivre sans carte d’alimentation. Mais les Russes arrivaient, provoquant la complète dissolution de tout ordre. Les pires horreurs – dont finalement certaines étaient vraies – étaient alors colportées sur l’Armée Rouge. Cette anarchie me permit, je ne sais plus comment, de revenir à Magdebourg quelques semaines avant la fin de la guerre.

En ce printemps 1945, la ville fut d’abord occupée par les Américains et les Anglais. Mon père revint après sa libération d’un camp anglais de prisonniers de guerre. Nous vivions alors dans une petite maison à la limite de la ville ».

 

Domination soviétique.

« Mais la ville de Magdebourg était située, selon les conditions du Traité de Yalta, dans la zone attribuée aux Soviétiques ; zone qui deviendrait plus tard l’Allemagne de l’Est. Alors, les Alliés partirent et laissèrent les Russes prendre possession de la cité.

C’était assez étonnant comment la vie quotidienne, normale, s’installa peu à peu quelques mois après la guerre. L’école recommença en septembre 1945, avec une nouvelle langue vivante : le Russe ! Quant à la ville, administrée par d’anciens communistes allemands, elle se transforma en une sorte de nouvelle dictature. Dans les rues, des haut-parleurs lançaient des slogans à la gloire des Soviétiques et du parti communiste ; partout aux murs étaient attachées des banderoles rouges de propagande. Un jour, sortant de l’école avec mes amis, je marchai exprès sur l’une d’entre-elles, tombées à terre. Comme une sorte de réflexe contestataire, pas vraiment réfléchi. Quelqu’un se jeta sur moi : rixe ! Je me trouvai en prison, seul dans une cellule, avec de l’eau ruisselant sur les murs.

En ce temps, ce genre de comportement suffisait pour disparaître. Je me souviens d’un jeune garçon qui avait distribué clandestinement des tracts anti-communistes. Il fut arrêté comme moi, mais l’on n’entendit plus jamais parler de lui… Dans mon cas, mon père, connaissait un antifasciste notoire et qui avait des contacts avec l’administration. C’est lui qui me sauva ! Maintenant, je n’avais qu’une idée en tête : quitter au plus vite cette Allemagne de l’Est ».

 

A Berlin.

« En juillet 1947, j’obtins mon baccalauréat. Je partis pour Berlin-Ouest, ce qui était encore possible à cette époque, bien avant le mur, pour m’inscrire à l’Ecole des Beaux-arts, située dans le secteur américain, pour faire des études d’architecture. Ces toutes premières années d’après-guerre, à Berlin, furent des années de miracle : tout était alors possible ! Tout était à faire dans cette ville détruite. Personne n’avait d’argent. Et depuis, jamais, je n’ai ressenti et vécu une telle ambiance de joie collective. Nous avions survécu à l’anéantissement. Nous nous trouvions à « l’heure Zéro » ! Je découvris l’art moderne, proscrit sous les Nazis, décrit comme un « art dégénéré ».

En peinture, nous vîmes l’expressionisme des années 1920 ; d’ailleurs, quelques artistes étaient professeurs chez nous, aux Beaux-arts. En matière de littérature, ce fut la découverte de Kafka, d’Hemingway et de tant d’autres. Et le dimanche matin était bien souvent réservé aux concerts du philarmonique de Berlin, sous la direction de Furtwängler.

Nous sortions aussi au théâtre et nous nous régalions des Mouches de Sartre ou de La Guerre de Troie n’aura pas lieu de Giraudoux. Et toutes ces distractions et joies culturelles ne coûtaient pratiquement rien pour les étudiants. Enfin, nous découvrîmes le cinéma américain avec les comédies musicales de Fred Astaire et les films de Rita Hayworth, sublime. Le soir, j’écoutais avec ma petite radio, émerveillé, les émissions de l’AFN (American Forces Network) : Glenn Miller, Benny Goodman, Frank Sinatra, Billy Holiday, Ella Fitzgerald. Après les horreurs de la guerre, nous nous trouvions dans un autre monde : un monde de rêve.

A la fin de l’année 1948, les Soviétiques installèrent le « blocus » en coupant la seule route, un corridor d’environ 200 km, traversant l’Allemagne de l’Est, et qui reliait à Berlin les secteurs américain, anglais et français avec l’Allemagne de l’Ouest. Le but étant que les Alliés abandonnent la ville. Comme bien souvent, le contraire se produisit : les Américains organisèrent un pont aérien. Nous voyions un flot ininterrompu de gros avions de transport, venant de l’Ouest, assurer le ravitaillement en aliments, souvent transformés en farine, des médicaments. Enfin, tout ce qui peut servir à la survie d’une ville de plus d’un million d’habitants.

Cette attitude d’affronter les menaces se manifestera plus fort encore, quand, lors de la construction du Mur, en 1960, le président Kennedy, en visite officielle, déclara devant la population de Berlin : « Ich bin ein Berliner ! » (je suis un Berlinois).

Nous nous trouvâmes encore une fois dans une ambiance de guerre : personne ne pouvait sortir de la ville, et chacun avait besoin de l’autre. Qui plus est, l’hiver fut très rigoureux et nous manquâmes cruellement de charbon. Les quotas d’électricité étaient très simples : deux heures le matin et deux heures le soir. Après huit mois, les Soviétiques abandonnèrent et la vie normale se réinstalla.

 

Partir.

« Mais Berlin de l’Ouest restait un îlot, entouré par l’Allemagne de l’Est. C’est certainement l’une des raisons pour lesquelles j’envisageais, après mon diplôme d’architecte, de partir, pas nécessairement pour quitter mon pays, mais pour découvrir le monde : Londres, Paris, New York… Aucune importance !

Ce fut Paris, ou j’avais une adresse d’un cabinet d’architecture grâce à un ami anglais. Ainsi, j’arrivai comme Allemand, seulement quelques années après la guerre, à Paris, et je fus accueilli avec une étonnante gentillesse, accompagnée d’intérêt pour moi. Je fus rapidement intégré dans ce cabinet. Six mois après, je commençais à parler le français à peu près correctement. On me confia – et je décrochai – des projets intéressants : hôpitaux, habitations, pavillons, où mon instruction à la base du « Bauhaus », peu connue à cette époque à Paris, me permettait de m’exprimer et d’être reconnu.

Une fois installé comme architecte indépendant, la question de retourner en Allemagne ne se posa plus. Je vivais avec ma femme allemande, qui m’avait suivi depuis Berlin, dans un cadre cosmopolite : une condition qui offre une capitale comme Paris. Je gardai mon identité allemande, basée sur la confrontation des deux cercles de culture : germanique et français. Mes clients, essentiellement des étrangers, me confiaient des ambassades, des sièges sociaux de sociétés, des hôtels.

Le passage dans ma vieille maison de Bourgogne de quelques membres de ma famille, et les enfants, avec leurs propres enfants, des mes anciens amis de Berlin, me permet aujourd’hui de garder le contact avec mon pays natal et de parler ma langue maternelle, devenue de plus en plus importante pour moi. Ils sont toujours accueillis avec chaleur dans ce petit village, d’à peine 100 habitants de familles d’agriculteurs. Ils vivent avec plaisir, pendant leurs passages, l’ambiance de la France profonde.

Voilà mon parcours à travers les événements du XXème siècle, et qui sont maintenant déjà devenus l’Histoire, mais sont aussi et surtout à la base de notre nouveau monde européen ».

 

 

Sources :

  • Entretiens – Mars – Mai 2012 - F. RIGNAULT
  • Université de Magdebourg – www.uni-magdeburg.de
  • Ville de Magdebourg – www.magdeburg.de
  • R.J. Evans, Le Troisième Reich, Flammarion.
Construction du Mur de Berlin en 1960.

Construction du Mur de Berlin en 1960.

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