Le plus souvent, notre histoire se construit autour de personnages illustres et de dates mémorables. Or, le nom d’Auguste Thin (1899-1982), caporal au 132ème régiment d’infanterie, enterré dans le vieux cimetière d’Asnières, et la date du 10 novembre 1920, ne sont pas les plus connus par nos écoliers, ni les plus évoqués par les historiens de la première guerre mondiale.
Et pourtant…
Ce 10 novembre 1920, le soldat Auguste Thin est à la citadelle de Verdun. Devant lui huit cercueils en ligne, anonymes, venant des différents secteurs de l’ancien front militaire (Chemin des dames, Somme, Verdun…). En vérité, le front contenait neuf secteurs, mais l’un des responsables de l’enquête ne peut certifier que le dernier corps proposé est bien celui d’un Français.
Le jeune caporal de 21 ans, pétrifié par l’émotion, tient dans sa main un bouquet d’œillets blancs et rouges que vient de lui donner le ministre des Pensions, André Maginot. Il avance lentement, passant en revue ces soldats sans noms, morts pour la France, comme son propre père. Auguste Thin se retourne, revient devant le sixième cercueil et y dépose le bouquet, désignant ainsi le soldat inconnu qui devra rejoindre son dernier tombeau, sous l’Arc de Triomphe.
Plus tard, le caporal explique son choix : «Il me vint une pensée simple. J’appartiens au 6ème corps. En additionnant les chiffres de mon régiment, le 132, c’est également le chiffre 6 que je retiens. La décision est prise, ce sera le 6ème cercueil que je rencontrerai.»
Dés 1916, François Simon, Président du Souvenir Français, avait évoqué l’idée d’inhumer un soldat anonyme pour rendre hommage à tous les disparus: «Pourquoi la France n’ouvrirait-elle pas les portes du Panthéon à l’un de ses combattants ignorés, mort bravement pour la patrie ?».
Des combattants ignorés, la Première Guerre mondiale en voit des mille et des cents… Sur les un million-quatre-cents-mille morts des seuls rangs français, les corps de trois-cents-mille victimes officiellement déclarées décédées ne seront jamais restitués aux familles. Et il y a plus de trois-cent-cinquante-mille disparus, «pulvérisés sur le champ de bataille» comme l’écrit l’historien Jean-Yves Le Naour (1).
Même si une proposition de loi est déposée en ce sens à la fin de la guerre, soulevant une vive polémique, il faudra attendre l’automne 1920 pour que le parlement, poussé par une campagne de presse intensive en particulier de l’Action Française, décide du choix d’un soldat inconnu et de son inhumation sous l’Arc de Triomphe. Le Panthéon est également évoqué mais, comme l’écrit le journaliste du Matin Henry de Jouvenel : «Ne l’enfermez pas au Panthéon. Portez-le au sommet de l’avenue triomphale, au milieu de ces quatre arches ouvertes sur le ciel. C’est lui, l’inconnu, l’anonyme, le simple soldat, qui donne tout son sens à l’Arc de Triomphe.»
Dans la nuit du 10 au 11 novembre 1920, par le train, la dépouille du Soldat inconnu arrive à Paris. Après un passage au Panthéon, son cercueil emprunte la rue Soufflot, en direction de l’Arc de Triomphe, monté sur un canon de 155 dominant la foule. «Ce mort qui va passer, c’est l’enfant de tout un peuple en larmes», écrit l’envoyé spécial de l’hebdomadaire l’Illustration.
Le Soldat inconnu est solennellement enterré sous l’Arc de Triomphe le 28 janvier 1921.
Plus tard, l’Angleterre, la Roumanie, la Belgique, les Etats-Unis, l’Australie (…) désigneront également leur soldat inconnu pour l’inhumer avec éclat. En 2000, c’est le Canada qui enterre le sien. Son corps avait été exhumé dans le Pas-de-Calais, tout proche de la crête de Vimy.
Sources :
- «Le Soldat inconnu, la guerre, la mort, la mémoire», de Jean-Yves Le Naour (éditions Découvertes Gallimard, 2008).
- "Le Soldat inconnu, invention et postérité d’un symbole» (éditions Imago, 2005), Jean-François Jagielski