Retour en Algérie.
« Le 1er septembre 1959, redevenu un commandant de l’Armée de l’Air, j’effectuai à Melun-Villaroche, le Vol de Contrôle après chantier du prototype Mirage IV 01. Le 19 septembre, embarqué dans un Dakota, je partais pour l’Algérie. Je l’avais demandé. C’était donc Alger en 1959, seize ans après mon arrivée en 1943, mais cette fois pour une guerre qui n’était plus une guerre de libération.
Au lieu d’Air-Algérie en 1943, je connus la 5ème Région aérienne que commandait le général André Martin. Il avait toujours le même regard ironique et amical, celui de mon commandant d’escadre de 1946, et les mêmes exigences tranquilles. Il me fixa, d’emblée, un programme de « remise en bain » accélérée, propre à m’envoyer en cure de repos au bout de quelques semaines et m’annonça ma prochaine affectation au P.C.A.M. de la 10ème Division parachutiste.
Pour organiser au mieux
Pour ma génération, l’Algérie ne faisait pas partie de « l’’Empire colonial ». Elle était constituée de trois départements français qui, sur nos cartes d’école, avaient les mêmes couleurs que nos départements métropolitains. Elle était
Alouettes et Sikorski H34.
« Il fallait me familiariser avec les hélicoptères que je n’allais plus quitter durant quatorze mois et me retrouvai à Boufarik pour quelques jours à
Certes, j’étais loin des Mirage que je pilotais quinze jours avant, mais j’étais heureux de faire connaissance avec ces machines nouvelles pour moi.
Je fis un saut à Sétif-Aïn-Arnat où le colonel Marceau Crespin, régnait sur le Groupement d’hélicoptères n°2 de l’Aviation légère de l’Armée de Terre ou ALAT. Dans ce domaine des hélicoptères, sévissait alors une âpre concurrence entre l’ALAT et l’Armée de l’Air, d’autant que l’ALAT avait choisi le Vertol bi-rotor, la fameuse « banane », un peu moins maniable que le H34 et dont n’existait aucune version armée. Mais Marceau Crespin était mon frère d’armes depuis 1943 et notre amitié s’établissait très au-dessus de ces rivalités. Il m’accueillit à bras ouverts comme toujours, et, dans ce camp où dominait une stricte discipline, en ces lieux baignés du souvenir du général de Lattre, je me liai aussi avec ses collaborateurs, Déodat de Puy-Montbrun et mon cousin Henri Couteaux.
Ces hors-d’œuvre terminés, je partis sur le terrain, en Grande Kabylie, pour un premier contact avec le P.C.A. de mon camarade Augé à Tizi-Ouzou. Le bruit courait dans les bureaux d’Alger que les grands katibas (compagnies rebelles) étaient démantelées et que les opérations touchaient à leur fin. Le 2 octobre 1959, sur les pentes de Lalla Kredidja, dans le Djurdjura, j’assistai à une première opération. Le soir, le régiment engagé comptait 16 morts et 20 blessés, un H34 avait été « descendu » et les fellaghas étaient restés maîtres de leur terrain. Rien n’était donc encore joué. »
A la 10ème D.P.
« Le 4 octobre, une Alouette me déposa au PC de la 10ème Division parachutiste. Ce PC, dit « PC Artois », se trouvait à
La 10ème D.P. était alors essentiellement constituée par cinq régiments d’élite et qui semblaient infatigables : le 1er régiment étranger de parachutistes ou 1er REP ; le 1er régiment de chasseurs parachutistes ou 1er RCP ; les 2ème, 3ème et 6ème régiments parachutistes d’infanterie de marine ou RPIMA. Les chefs de corps étaient tous du type « vieux baroudeurs », anciens des campagnes de la Libération et d’Indochine, très proches de leurs hommes et parmi lesquels se détachaient, tout particulièrement, les colonels Cousteau et Balbin. Il y avait bien une artillerie divisionnaire, mais dans ce conflit le rôle de l’artillerie était réduit au strict minimum.
Le patron était le général Gracieux. Petit, râblé, d’un calme imperturbable, précis et concis dans ses ordres, d’une bonhomie apparente que démentait très vite un regard sans équivoque. Le général Gracieux vivait pour sa division qu’il avait parfaitement en mains. Je lui connus deux adjoints successifs, le colonel Mayer, figure célèbre des parachutistes, puis le colonel Ceccaldi, Compagnon de la Libération, soldat gaulliste des premiers mois, « l’artilleur de Koufra », qui gagnait tous les cœurs par sa gentillesse souriante et « décontractée » et dont la seule présence calmait les énervés et les impatients. Une petite équipe d’état-major mettait en musique les ordres du patron, essentiellement animée par le commandant Faulques au 3ème Bureau, « Opérations » ; le capitaine Planet ; au 2ème Bureau « Renseignements » ; le capitaine Camus, au 4ème Bureau. Faulques et Planet avaient été en Indochine des guerriers d’un courage exceptionnel qui faisait encore l’admiration de tous. Avec ces officiers, au fil de longues soirées d’hiver, de la vie au coude à coude et des épreuves subies, j’établis assez vite des relations de confiance et d’amitié. Je suis heureux et fier de les avoir connus. »
Le P.C.A.M.
« Quel était mon travail au sein de cet état-major, à la tête du P.C.A.M. ? Avec mon second, qui fut successivement le capitaine Maslin, le lieutenant Clerget, nous dirigions une petite équipe munie de moyens radios puissants. Nous devions obtenir du Groupement Aérien Tactique voisin et diriger les appuis-feu aériens nécessaires aux régiments engagés. Nous avions à notre disposition permanente au moins un détachement d’intervention d’hélicoptères, D.I.H. de six H34, avec un H34 armé « Pirate » et une Alouette II. Sur cette Alouette II, utilisée en PC volant, nous guidions les héliportages d’assaut, balisant aux fumigènes les zones de posé, déclenchant les tirs du ou des « Pirate », ou au contraire, nous partions en reconnaissance à vue, à la recherche des « rebelles ». L’indicatif radio du P.C.A.M. était « Ronsard », mon indicatif personnel « Ronsard autorité » et durant 300 missions aériennes, dites de « maintien de l’ordre », j’ai jonglé avec les indicatifs des régiments de ma division : « Paulette », « Pavie », « Patin », « Patriote », « Pavot ». J’établissais sur les ondes une fraternité d’armes que je n’avais pas encore connue de
La côte 1621.
« A la mi-octobre 1959, le « PC Artois » alla s’établir un peu plus bas, à la côte 1621, dans un camp de tentes et de roulottes. Le général Challe avait décidé que la 10ème D.P. passerait l’hiver sur ce terrain théoriquement pacifié. Cet hiver fut rude.
De cette haute crête de Grande Kabylie, que bordait une cuvette assez facilement utilisée par les hélicoptères, la vue, par temps clair, s’étendait sur un relief de pré-Alpes jusqu’à l’extrémité de la vallée de la Soummam et à Bougie, à
Nous connûmes donc une vie de reclus, réunis le soir, autour du feu, sirotant nos grogs, discutant de tout et de rien, embarqués dans d’interminables parties de poker ou de bridge. Je parlais beaucoup avec Roger Faulques, qui devint mon ami. Dix ans avant, le Vietminh l’avait rendu, mourant, après Cao-Bang, et Guillaume de Fontanges l’avait ramené dans son JU 52. De ses blessures, il avait gardé une bonne ostéite avec rétention et des crises de fièvre qui l’abattaient mais il rebondissait chaque fois de plus belle, increvable et rayonnant.
Et puis, il y avait mon équipe, mon petit « goum » d’aviateurs dont j’étais directement responsable. Mon second vivait dans la vallée, près de Sidi-Aïch, prêt à intervenir immédiatement à la tête du D.I.H. en alerte. J’étais aidé par un sous-lieutenant du contingent, Claude Lemoine, tout rond, très scout, d’un dévouement sans bornes. Alors, quand les tentes menaçaient d’être emportées dans une tempête de neige, nous luttions ensemble, nous réchauffant ensuite aux vins chauds, aux chants, aux histoires sans fin du sergent Roulet dit « Basile », heureux et malheureux ensemble, sans qu’il puisse exister la moindre rivalité ou la moindre jalousie entre nous puisque nous étions seuls, sans témoins, dans la boue et le vent. Tout, autour de nous, était désert car même les sangliers avaient fui le froid pour descendre vers la vallée tandis que les fellaghas attendaient la fin de l’hiver pour tendre des embuscades sur les pistes voisines.
Parfois, par temps meilleur, nous allions sur les pentes, traversant de pauvres villages kabyles, aux maisons basses de pierres empilées, où des femmes au teint clair, non voilées, couvertes de piécettes, gardaient les gosses en l’absence des hommes. La plupart d’eux, d’ailleurs, étaient sans doute avec le vieux chef de la Willaya 3, celle qui nous était opposée, Mohand el Hadj, dont nous évoquions souvent la figure entre nous et que nous ne capturâmes jamais. Ils étaient devenus des fellaghas, nos ennemis, et je ne les connaissais que comme silhouettes fugitives courant dans les cailloux, objectifs de nos tirs aériens.
Parfois, profitant d’un beau temps passager, des képis étoilés débarquaient d’hélicoptères pour un briefing magistral et stéréotypé, un repas de soldats sous la tente, sans nous apporter les grandes orientations dont nous aurions tant eu besoin. Plus agréable était la visite de la seule femme rencontrée au camp durant ces mois d’hiver, le médecin-capitaine Valérie André, déjà bien connue des « paras » depuis l’Indochine, et dont la gentillesse extrême me conquit immédiatement. Epouse du commandant Santini, autre figure de l’Armée de l’Air, elle devait devenir, quinze ans plus tard, le premier général féminin des armées françaises et jamais choix ne fut plus justifié. »