Un cavalier.
Voilà un peu plus de 76 ans, le 9 juin 1943, que le général de corps d’armée Charles Delestraint, premier chef de l’Armée Secrète (AS) dans la Résistance, était arrêté par la Gestapo à la station de métro La Muette à Paris, suite à des négligences et des trahisons.
Né en 1879, Saint-Cyrien, Charles Delestraint combat pendant la Première Guerre mondiale. Convaincu que les blindés sont l’avenir des armées, il intègre les chars de combat en 1923. Il est nommé général de brigade, commandant la 3e brigade de chars de combat à Metz en 1936. Parmi ses subordonnés se trouve un certain colonel Charles de Gaulle, commandant le 507e régiment de chars de combat. Ils s’apprécient et partagent les mêmes idées. Selon des camarades de détention à Dachau, le général Delestraint aimait à dire : « Je suis aux ordres du général de Gaulle qui fut naguère à mes ordres ».
En mauvais termes avec le haut commandement car opposé à la politique défensive d’alors, Delestraint n’est plus promu. Il quitte l’armée en mars 1939, atteint par la limité d’âge. Rappelé en septembre quand la guerre éclate, il prend des responsabilités de plus en plus importantes au fur et à mesure que la situation se dégrade. En juin 1940, il commande un groupement de deux divisions blindées qui attaquent près d’Abbeville, couvrant la retraite de deux armées et épargnant la captivité ou la mort de centaines de milliers d’hommes.
Démobilisé comme général de division, il se signale par son opposition à la politique de collaboration de Vichy. Le Ministère de la Guerre lui écrit d’ailleurs en février 1942 : Le maréchal Pétain a appris qu’au cours de conversations privées, vous manifestiez ouvertement votre désapprobation de sa politique… Vos propos ont été rapportés et je vous invite, ne serait-ce que dans votre intérêt, à plus de prudence et de réserve dans l’expression de vos opinions. »
Vidal, noble cœur.
L’Armée Secrète (AS) a été créée à l’instigation de l’ex-préfet Jean Moulin, délégué du général de Gaulle en France occupée, par le regroupement des trois des principaux mouvements de la Résistance : Combat, Libération-Sud et Franc-Tireur. En 1944, avec l’incorporation de l’Organisation de Résistance de l’Armée (ORA) et des Francs-Tireurs et Partisans Français (FTPF), l’ensemble deviendra les Forces Françaises de l’Intérieur (FFI) qui joueront un rôle majeur quand les Alliés débarqueront en France. Le général Delestraint prend le commandement de l’AS après avoir entendu sur Radio Londres en août 1942 un message de confirmation disant : « De Charles à Charles : d’accord ». C’est sous le pseudonyme de Vidal qu’il entre dans la clandestinité à l’âge de 64 ans. « Parmi tant de nobles cœurs que le drame a révélés à travers l’écume, il était l’un des plus nobles. De cela, je me doutais d’avance, car nous nous connaissions bien. Mais les événements en ont apporté une magnifique confirmation », dira de lui Charles de Gaulle en 1946.
Sous le commandement du général Delestraint, les effectifs de l’AS passent de 30.000 hommes à 200.000 hommes. L’une des raisons principales est la mise en place du Service du Travail Obligatoire (STO), qui oblige tous les jeunes de 20 à 22 ans à aller travailler en Allemagne. 60.000 partent mais le slogan « L’Allemagne ou la montagne ! » circule dans les usines et les universités et 200.000 autres jeunes sont « réfractaires » et constituent le gros des maquis. La général Delestraint veille à leur développement, inspectant personnellement ceux de l’Ain et du Vercors.
Camp de concentration.
En février 1943, un avion britannique atterrit clandestinement en France pour emporter Jean Moulin et le général Delestraint à Londres, où ils mettent au point leur stratégie pendant un mois avec le général de Gaulle. Delestraint rencontre également à plusieurs reprises le général Sir Alan Brooke, chef d’état-major impérial britannique.
Lors de leur absence, une série d’erreurs et de trahisons s’enchaînent. Ils sont arrêtés en juin 1943. Jean Moulin est torturé à mort, tandis que Delestraint est détenu à Fresnes puis déporté au camp de Natzwiller-Struthof, puis au camp de concentration de Dachau, en Allemagne.
Le docteur François-Yves Guillin, dans son livre Le général Delestraint, premier chef de l’Armée Secrète (éditions Plon), étudiant à l’époque, fut agent de liaison puis secrétaire du général Delestraint dans la clandestinité : « Je lui avais été présenté par ma mère, née Germaine Ladoux, issue d’une famille d’officiers. Quand le général Delestraint a été arrêté, ma mère est partie d’elle-même à Vichy demander l’aide d’officiers qu’elle avait bien connus avant-guerre pour retarder sa déportation, raconte-il. Elle a été reçue par le général D., chef de cabinet du ministre de la Guerre, Eugène Bridoux. Il lui a dit : « Germaine, je n’interviendrai jamais en faveur de ce traître au maréchal. Et si je ne te connaissais pas, je te ferais arrêter sur place. Sors d’ici ».
Désigné sous le titre de « Nacht und Nebel » (Nuit et Brouillard) regroupant les prisonniers qui ne devaient pas survivre à leur incarcération, le général Delestraint est exécuté d’une balle dans la nuque. C’était le 19 avril 1945, dix jours seulement avant la libération du camp.
Son cadavre ayant été jeté dans un four crématoire, le souvenir du général est rappelé au Panthéon par une plaque sur laquelle on peut lire : « A la mémoire du général Delestraint, chef de l’Armée Secrète, compagnon de la Libération ».
Sources :
- Cet article est issu de TIM n°245 – Juin 2013 – Texte de Bernard EDINGER.
- Encyclopédie Larousse.
- Encyclopédie Wikipédia.
- Crédit photographique : Ordre de la Libération.
- Crédit photographique : site du Ministère des Armées : « Chemins de Mémoire ».