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Réserve Citoyenne du Gouverneur militaire de Paris

Réserve Citoyenne du Gouverneur militaire de Paris

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Bernard Labauge : itinéraire d’un appelé pendant la guerre d’Algérie – 2/3.

Publié par Réserve Citoyenne Armée de Terre IDF sur 19 Janvier 2022, 12:10pm

Catégories : #Mémoire

Constantine, le centre-ville et le pont suspendu.

Constantine, le centre-ville et le pont suspendu.

Bernard Labauge est membre de la Réserve Citoyenne Terre – Ile-de-France (lieutenant-colonel ad honores). Il œuvre au sein du groupe des Réservistes Locaux à la Jeunesse et à la Citoyenneté, dans le département de l’Essonne.

 

Son portrait est à retrouver ici : http://www.reserve-citoyenne-paris.org/2015/03/bernard-labauge.html

 

Il y a quelques années de cela, Bernard s’est confié à la Fondation pour la Mémoire de la Guerre d’Algérie, des Combats du Maroc et de Tunisie. Créée en 2005, celle-ci a pour mission d’expliquer les événements et d’en transmettre la mémoire (site : https://www.fm-gacmt.org/) .

 

 

4 – Missions et permissions à Constantine.

Bernard Labauge :

« Pour faire réparer des pannes graves ou pour assurer des entretiens importants, il fallait conduire les véhicules, jeeps, camions, engins blindés à l’Établissement Régional du Matériel (ERM), qui était situé à Constantine. Ainsi, deux ou trois fois pendant mon séjour, j’ai pris en jeep la tête d’une colonne de véhicule à réparer.

Je n’oublie pas le site extraordinaire de la ville de Constantine, le pont suspendu sur les gorges du Rhumel et le fait que cette escapade constituait une agréable diversion par rapport à notre vie à Munier (Ain Kerma). Nous y étions très isolés, loin de toute agglomération et dans une zone interdite, qui avait été vidée de ses habitants sur une dizaine de kilomètres de profondeur, côté algérien de la ligne Morice.

Je repense à mon inconscience dans Constantine, car je me promenais seul, en uniforme, avec un ceinturon sur lequel était accroché mon pistolet, un PA 50 de 9 mm. Des partisans du FLN dégourdis auraient pu, très facilement me prendre cette arme et me faire passer par-dessus le parapet du « pont suspendu » !

Un après-midi, je décide d’aller au cinéma. À l’entrée de la salle, il y avait quelques personnes qui faisaient la queue parce qu’un employé (un Algérien sans doute) était chargé de fouiller les gens avant d’entrer dans la salle. Quand j’arrive devant lui, il s’aperçoit que je porte un pistolet à la ceinture. Stupeur de l’intéressé. Sa présence et sa mission étaient supposées dissuader les spectateurs de pouvoir commettre un attentat dans le cinéma.

Nous avons éclaté de rire tous les deux et je suis entré ainsi équipé dans la salle. Enfin, chaque mois, nous pouvions partir en permission, pour deux jours à Bône, avec un groupe d’une dizaine de soldats dans un GMC, pour nous baigner, aller au restaurant…

Une fois, je me souviens avoir appris que notre restaurant favori avait été plastiqué et, marchant sur le trottoir, avoir été également entouré par les gravats tombés du toit de la Préfecture ou d’un bureau du dernier étage qui avait été lui aussi plastiqué.

Curieusement ces faits nous apparaissaient comme inévitables dans le climat de guerre que nous vivions et cela explique que nous n’avions pas la moindre curiosité pour savoir qui étaient les auteurs de ces attentats, quels buts étaient poursuivis, etc.

À l’occasion de la mission de surveillance de route, sans doute vers la fin du premier semestre 1961, j’ai un jour remonté un long convoi de porte-chars qui transportait un régiment de chars AMX 13 à Bône, pour y être rembarqués pour la métropole.

Je me souviens de m’être interrogé sur la pertinence de cette décision, alors que nous subissions encore régulièrement des attaques à la frontière tunisienne.

 

5 – L’instruction des Français de Souche Nord-Africaine ou FSNA.

Au 4e escadron du 1er Régiment de Spahis, les journées étaient occupées de diverses façons et notamment, je me souviens avoir été chargé de faire l’instruction des Français de Souche Nord-Africaine (FSNA), c’est-à-dire des jeunes Algériens, qui avaient été appelés pour faire leur service militaire. Ils étaient là dans le « peloton porté ». Ils nous accompagnaient la nuit sur le terrain pour faire partie des soldats qui montaient la garde dans les blockhaus et aussi pour compléter les équipages des automitrailleuses.

En effet, la particularité de l’EBR Panhard est d’être un engin symétrique, ayant les mêmes caractéristiques d’évolution et de vitesse dans les deux sens. Autrement dit, il était nécessaire d’avoir deux pilotes sur un équipage de quatre personnes : le chef de voiture, le tireur au canon de 75 mm, le pilote avant et le pilote inverseur.

Dans le travail très particulier des EBR sur la ligne Morice, où il fallait assurer notre présence chaque nuit, nous n’avions pas assez de pilotes et on demandait alors à un soldat du peloton porté de prendre la place du pilote inverseur.

Une nuit, le sous-lieutenant qui commandait notre groupe d’engins blindés, me charge d’une mission de reconnaissance vers le nord.

Loin de notre emplacement habituel, je finis par me retrouver sous une pluie battante, sur une route étroite en encorbellement, bordée d’un côté par une pente escarpée sur laquelle s’accrochait le réseau électrifié et, de l’autre, par un précipice à pic.

N’ayant rien constaté d’anormal et ne pouvant faire demi-tour pour revenir, j’ai dû demander au pilote avant de passer les vitesses et au FSNA du poste inverseur de tourner le volant. La peur de ma vie !

Car, la nuit, sous la pluie, on ne voit pas grand-chose, on fait beaucoup de bruit et on se sent très vulnérable. Les armes du véhicule blindé ne peuvent pas être pointées en hauteur, de là où l’on se trouve. Chose surprenante, je ne me suis jamais interrogé sur ces FSNA.

Qui étaient-ils, d’où venaient-ils, que pensaient-ils de la guerre que nous menions ? Et je n’ai jamais été effleuré par le doute sur leur loyauté.

Une autre mission qui revenait à peu près toutes les six semaines, c’était la surveillance de la route qui reliait Lamy (Ain Kerma) au port de Bône (Annaba).

Cela consistait à rouler avec deux automitrailleuses, en restant en liaison radio entre nous et avec le PC du régiment, pour prévenir tout incident et intervenir en cas de besoin. En fait, c’était une bonne occasion de se défouler.

J’utilisais en effet l’EBR du colonel du régiment, qui était équipé d’un poste de radio TRVM 1, capable de recevoir et d’émettre à longue distance. Ainsi nous pouvions nous brancher sur Radio Monte-Carlo pour écouter de la musique et des émissions distrayantes.

Quant aux pilotes qui étaient frustrés par le travail habituel de « la herse », ils s’en donnaient à cœur joie. Ils roulaient à tombeau ouvert sur la route du retour, étroite et sinueuse, en principe fermée à la circulation après 18 h 00, en menant leur EBR, un engin de 13 tonnes, à 100 km à l’heure.

 

6 – La politique et les appelés en Algérie.

Nous n’avions pas accès à la presse locale, seulement les publications de l’Armée « Le Bled » et, compte tenu de notre isolement, nous étions très peu informés sur l’actualité de la guerre que nous menions. Je n’ai pas le souvenir d’avoir utilisé l’expression de guerre d’Algérie, ni avant mon service militaire, ni pendant.

Dans ma famille et autour de moi, à l’époque, on employait l’expression : les « événements » d’Algérie. J’ignorais l’existence des partis nationalistes ou indépendantistes comme le MNA. (Mouvement National Algérien), le FLN (Front de Libération National) …

Je crois me souvenir, selon les explications reçues à Trèves au CIDB pendant les classes, qu’il s’agissait de maintenir l’ordre en Algérie, contre des « bandits », une sorte de révolte paysanne, de « jacquerie ».

Je ne me posais aucune question sur l’Algérie, pourquoi devait-on y aller faire son service militaire, quels étaient les problèmes politiques, économiques, sociaux … Curieusement, je n’arrive pas à trouver dans ma mémoire de traces de l’arrivée du général de Gaulle au pouvoir en mai 1958, ni de ses premières interventions à propos de l’Algérie, comme le célèbre discours du 4 juin à Alger : je vous ai compris

Il est vrai que j’étais étudiant à l’ESCP (École Supérieure de Commerce de Paris) où j’étais entré en 1955, pour trois années d’étude. Je devais sans doute me consacrer aux révisions pour l’obtention du diplôme, dans un processus, qui était resté très scolaire.

Il est vrai aussi que le personnage du général était controversé à cette époque (alors qu’il est considéré maintenant, sans nuances, comme le plus illustre des Français).

Le sentiment de rejet de la politique, du fait de l’instabilité de la IVème République, était déjà bien marqué.

On ne subissait pas comme aujourd’hui, l’avalanche d’informations de la télévision. Il est vrai que l’on mémorise surtout les faits qui vous concernent directement.

Par exemple, je me souviens que fin juillet-début août 1955, mes parents nous avaient emmenés mon frère et moi, en vacances près du lac d’Annecy. Ayant fait suivre son courrier, mon père avait reçu de la Chambre de Commerce de Paris la lettre annonçant que j’avais réussi le concours d’entrée à l’ESCP, 64e sur 220. Ce qui m’avait permis de triompher, fort peu modestement.

Au même moment, en Algérie, la situation s’aggravait (émeutes de Philippeville) au point que le gouvernement décidait d’augmenter les effectifs militaires et de rappeler des réservistes.

Je n’ai pas le souvenir d’avoir suivi la question de la politique algérienne du général de Gaulle à la radio, puisque c’était la seule source d’information dont je disposais, ni de son voyage du 11 au 13 décembre 1960, ni des manifestations violentes qui ont suivi.

Par sa mission spécifique sur la ligne Morice, notre régiment n’a participé à aucune opération de maintien de l’ordre en ville, notamment lors des manifestations de décembre 1960.

Il me semble me souvenir que pour cette consultation électorale nous sommes descendus à Lamy, sans doute pour voter nous-mêmes et/ou pour assurer la protection du bureau de vote. Je garde le sentiment d’une consultation électorale exempte de signification, si nous avions voté, puisque nous l’aurions fait sans être réellement des résidents.

D’autre part, nous avons dû suivre les instructions, qui nous avaient été données par nos chefs, puisque nous étions isolés sur le plan géographique et restés très ignorants des réalités sur le plan des idées politiques. Je ne pense pas que le résultat du référendum du 8 janvier 1961 sur l’autodétermination du peuple algérien ait eu un fort impact, ni fait l’objet de commentaires entre nous.

En fait, je n’avais jamais mené de réflexion de fond sur la politique algérienne du général de Gaulle. Il me semble que nous étions concentrés sur nos tâches quotidiennes, ce qui suffisait à nous occuper et peut-être même que le lieutenant qui commandait l’escadron et ses adjoints, nous montraient une attitude de défiance dans la conduite à tenir vis-à-vis des questions politiques.

Lorsque j’étais en Allemagne, je me souviens que mes parents étaient venus me rendre visite à Trèves pendant mes classes, puis j’ai dû avoir deux ou trois permissions au cours de l’année 1959, notamment avant de rejoindre l’Algérie par Marseille le 14 novembre 1960.

Mais je ne conserve aucun souvenir de ces contacts avec ma famille. Je ne crois pas que nous ayons tellement parlé de la question d’Algérie sur le plan de la politique, mais plus certainement des circonstances de mon affectation pour la suite de mon service militaire. J’avais appris en quittant l’Allemagne que j’étais affecté à un régiment de spahis à la frontière tunisienne, sans plus de détails.

Ensuite, j’ai passé une année en Algérie sans revenir en permission en France et le contact avec ma famille se faisait par uniquement par le courrier.

Je leur racontais dans mes lettres ce que je faisais et, dans leurs réponses, je percevais leur inquiétude devant le danger auquel j’étais exposé.

 

7 – Les pieds-noirs.

Les seuls contacts avec la population française d’Algérie étaient ceux liés à la vie militaire. À l’escadron, je me souviens d’un maréchal des logis-chef, un pied-noir sympathique et chaleureux. Il était d’origine espagnole, car il s’appelait Bernabeu.

Quant aux autres contacts avec la population européenne, c’était seulement lorsque nous allions à Bône (Annaba) en permission.

Là, nous rencontrions des patrons de bistrots, de restaurants, des marchands de photos, qui développaient et tiraient nos films. Je me rendais compte que l’armée constituait une source considérable de revenus pour beaucoup d’activités locales. Ces contacts restaient cependant très superficiels. Toutefois, je ressentais un sentiment sous-jacent de légitimité en circulant en Algérie, de familiarité avec le décor urbain et le paysage de la France. Les grandes villes d’Algérie, où je suis allé, comme Bône (Annaba), Constantine, Alger, ressemblaient aux villes de France de même importance. Alger, c’était comme Marseille. Les infrastructures de la zone côtière, elles aussi n’étaient pas trop différentes de celles existantes de l’autre côté de la Méditerranée : mairies, églises, monuments aux morts, lignes de chemin de fer, routes, téléphone, éclairage public…

Je suis allé à Alger, car j’avais obtenu de suivre pendant deux mois, un stage à l’École de Cavalerie d’Hussein Dey, dans la banlieue d’Alger, de mars à mai 1961, pour passer le brevet de chef de peloton : le BA 1. Le stage comportait une phase d’instruction de combat avec un peloton d’automitrailleuses. De ce fait, nous circulions, nous faisions des manœuvres en automitrailleuses américaines AM M8 dans la Mitidja. J’ai encore dans l’œil la vision de la petite ville, de Douera, écrasée de soleil, avec son église, les murs blanchis à la chaux des maisons, la place centrale très fleurie avec un kiosque à musique : une impression de village de Provence. Mes contacts trop fugitifs et superficiels ne peuvent contribuer à constituer dans mon esprit, une image des Européens d’Algérie.

Pourtant, une anecdote m’aura fait prendre conscience d’une façon tout à fait marquante de la question d’Algérie. Voici comment.

Lorsque j’étais en stage à l’École de Cavalerie, le soir nous avions quartier libre. Naturellement, nous voulions aller à Alger, en centre-ville, y passer la soirée. Pour cela, nous faisions de l’auto-stop sur la Route moutonnière. Or, il se trouve que les nombreux soldats qui étaient affectés ou en stage à l’École de Cavalerie d’Alger, portaient un calot bleu ciel. Quant à moi, détaché de mon régiment pour mon stage à Alger, j’étais en uniforme de spahis, avec un calot rouge vif.

Ce qui explique qu’un jour, lorsqu’une 4 CV Renault stoppa pour me prendre, les deux personnes d’un certain âge, des retraités sans doute, qui occupaient les deux places avant de la voiture, me dirent : « Tiens, vous n’êtes pas d’ici ! D’où venez-vous, que faites-vous ? » Je répondis : « Oui en effet, je fais un stage ici, mais en fait, je suis dans un régiment de spahis, à la frontière de la Tunisie ». La conversation s’engagea.

Lorsqu’ils me demandèrent de façon plus précise qu’elle était la nature de mon emploi militaire, pour aller à l’essentiel et voulant éviter de me lancer dans des considérations trop compliquées, je leur répondis. « Installés à coté de Lamy, dans une zone interdite, où il n’y a pas de population, nous sommes chargés de garder le barrage électrifié, la ligne Morice. C’est très simple. La nuit tout ce qui se trouve de l’autre côté, c’est l’ennemi. Alors, je tire dessus avec les armes de mon automitrailleuse » !

Je voulais leur faire comprendre que nous faisions une guerre, somme toute, classique, dans une situation simple et claire. Que nous pouvions fort bien faire la même chose le long rideau de fer, en Europe, dans le cadre de la guerre froide. Je voulais dire que je n’avais pas les mêmes problèmes que les unités qui étaient confrontées au terrorisme, à la guerre civile. Là, il faut faire face à un adversaire insaisissable. Celui que l’on croise le jour, dans la vie quotidienne, est peut-être la nuit. Les deux retraités s’écrièrent : « Ah ! C’est bien mon petit. Il en faut des gens comme vous, etc. ».

En fait, à leurs yeux, mes paroles m’avaient fait considérer comme un activiste, un partisan de l’Algérie française. Ce qui, en réalité, n’était du tout ce que j’avais voulu dire. On l’a vu, j’ai été projeté dans la guerre d’Algérie en ne connaissant rigoureusement rien à la question et de plus, sur la ligne Morice, nous vivions dans un grand isolement.

En outre, dans les Spahis en Allemagne, nous étions plutôt censés préparer les missions des divisions blindés alliés, dans le cadre de l’Alliance Atlantique, face à la menace soviétique. Je ne me souviens plus des détails du trajet jusqu’à Alger, mais je n’ai pas voulu contredire ces aimables retraités.

J’ai cependant conservé toute ma vie le témoignage du désarroi, de la détresse de ces pauvres vieux. Ils ne pouvaient pas imaginer, un seul instant, qu’avec leur petite voiture et leur appartement ou leur villa dans la banlieue d’Alger, leur retraite tranquille ne puisse pas se poursuivre ainsi jusqu’à la fin.

La rue principale de Lamy pendant l’hiver 1960 - 61. Aujourd’hui Bou Hadjar.

La rue principale de Lamy pendant l’hiver 1960 - 61. Aujourd’hui Bou Hadjar.

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